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Mortel bowling au Conseil fédéral

La succession de Micheline Calmy-Rey, couplée avec la reconduction de tout le gouvernement, risque une fois de plus de tenir d’avantage du jeu de massacre que de la sagesse politique.

«Quel rituel, mais quelle irrationalité!» Difficile de ne pas partager le cri du cœur de Beat Kappeler, l’ex-syndicaliste devenu chroniqueur néolibéral indépendant — quel parcours!

Mais le rituel et l’irrationalité dont il s’agit ici sont ceux qui vont exciter avant, pendant et même après les élections du 23 octobre, le petit monde de la politique et des médias. La bataille pour la succession de Micheline Calmy-Rey.

Déjà il se susurre et suppose que ce vain jeu de chaises musicales pourrait se transformer en bowling infernal. Avec l’obligation par exemple pour le PS de se montrer très, très sage, sous peine d’une volée de coups de bâtons immédiate, puisque, la faute au calendrier, tout l’aréopage sera reconduit de concert et le siège de Calmy-Rey repourvu en dernier.

Pas simple à manoeuvrer pour un parti dont l’ambition, à en croire son président Christian Levrat, ressemble à une sorte de monstrueux veau à deux têtes: «Tout faire pour assurer le maintien du deuxième siège socialiste et conserver une majorité antinucléaire au Conseil fédéral avec Eveline Widmer-Schlumpf.»

Bref, le beurre et l’argent du beurre. L’idéal évidemment pour les socialistes serait un mauvais score des radicaux: il n’y aurait plus alors qu’à offrir sur un plateau le siège de Schneider-Ammann à l’UDC et attendre un rapide retour d’ascenseur. Mais avec deux UDC, deux socialistes, un PDC, un radical et Widmer-Schlumpf, bonjour la cohérence. Ce ne serait plus un gouvernement mais la foire d’empoigne et la cour des miracles garantie.

Pur rituel, on le voit bien, d’autant plus irrationnel qu’il ne s’accompagne d’aucun programme minimum commun. Abattre les quilles pour abattre les quilles en somme. Avec comme résultat habituel, vu mille fois, des personnalités élues guère en phase avec le parlement qui les a pourtant choisies, certes largement à la courte paille.

C’est ainsi que législature après législature il faut bien constater, avec le ronchon syndicaliste Kappeler devenu ronchon néolibéral, que la gentille, la jolie concordance à la Suisse se résume dans la réalité à une suite de «dissensions, discordes, rejets».

Mais les candidats dira-t-on, les candidats à la succession, eux au moins sont bien là, bien réels, chair et sang, palpables autant que papables.

Alors, Berset ou Maillard, Maillard ou Berset? Voilà qui peut sembler enfin un choix véritable. D’un côté la gauche froide, raisonnable, chauve, en costume sombre. De l’autre, la gauche échevelée, généreuse, débraillée. Aussi clair et net qu’un vieux derby d’antan Gotteron-LHC.

Sauf qu’immédiatement un premier doute affleure: et si tout ça n’était qu’une question de style, de fripe, de look? Et si Maillard était moins à gauche qu’on pensait? Berset pas aussi à droite? D’ailleurs il se murmure déjà qu’il pourrait bien y avoir une drôle de surprise pour tout le monde au coin du bois. Venue du Tessin par exemple. Un peu comme d’habitude: il n’a jamais manqué ou presque à chaque élection d’un ou d’une kamikaze d’outre-Gothard prêt à venir se faire humilier sous les ors de la Berne fédérale. Le nom de Marina Carobbio est avancé.

On sent bien que tout cela ne va pas soulever les foules. Sauver ou condamner Widmer-Schlumpf ou Schneider-Ammann, à moins que ce ne soit l’inverse, trancher entre Alain et Pierre-Yves, qu’est-ce que cela peut faire? L’avenir du pays et au passage celui de la filière nucléaire se joueront sans doute sur un ensemble de réalités autrement plus complexes que la sensibilité d’un exécutif voué à l’éphémère comme à la discorde et à la pusillanimité.

Autant remarquer, puisqu’il faut un critère, que les deux sièges les plus en danger sont occupés par les deux seuls membres du Conseil fédéral portant encore un nom composé. Tellement agaçants les noms composés, n’est-ce pas, obligeant toujours à se demander: trait d’union ou pas? Autant s’en débarrasser. D’ailleurs le ménage a commencé avec Calmy, qui aurait tout aussi bien pu continuer de s’appeler Rey. Comme tout le monde.