KAPITAL

Le succès des boîtes qui mettent en boîte

Des entrepôts pas chers et faciles d’accès: c’est le concept du self-stockage, qui s’est beaucoup développé en Suisse. Plusieurs entreprises profitent de ce marché en pleine croissance. Auriez-vous besoin d’espaces de rangement?

Les Suisses déménagent. Ils divorcent ou partent à l’EMS. Les expatriés restent quelques mois, repartent sans savoir combien de temps. Et les entreprises ont besoin de locaux sécurisés où entreposer leurs archives et leurs produits de démonstration. Cette situation, couplée à l’urbanisation et ses logements de plus en plus exigus, a créé une importante demande pour des locaux d’entreposage bon marché.

La première entreprise qui a flairé ce filon est Zebrabox, fondée à Lausanne en 2003. Son fondateur et CEO, Christian Schmutz, raconte: «A l’époque, il n’y avait que des garde-meubles. Une solution peu satisfaisante: il faut payer à chaque fois que l’on veut avoir accès à ses meubles et les horaires sont très rigides. Le self-stockage répond à une demande croissante de flexibilité des personnes et des entreprises: nos clients possèdent leur propre clé d’accès à leur local, auquel ils peuvent accéder 24h/24,7 j/7, sans frais supplémentaires. La taille de nos locaux varie de 1 à 50 m3 et ils peuvent être loués à la semaine ou sur plusieurs années.»

Les clients du self-stockage sont particulièrement variés: «Ce sont des familles qui se sont agrandies et ont besoin d’une pièce en plus pour entreposer leurs affaires, des étudiants qui retournent chez eux durant la pause universitaire, des retraités qui ont déménagé dans un logement plus petit et ne souhaitent pas jeter leurs meubles, détaille Christian Schmutz. Nos clients illustrent l’évolution de la société: leurs trajectoires professionnelles et personnelles sont de plus en plus mobiles.»

Les entreprises représentent environ un tiers de la clientèle du self-stockage. «Il y a des médecins, des avocats ou même des multinationales qui souhaitent un lieu sûr pour entreposer leurs archives. De nombreux représentants font appel à nous pour stocker leur matériel. Nous leur offrons également un service de réception des livraisons qui leur sont destinées.»

Outre les évolutions sociologiques, le succès du self-stockage s’explique avant tout par une logique économique simple: «Etant donné le prix des loyers en Suisse, il revient bien moins cher de louer un local de 3 m2 (qui revient à moins de 100 francs par mois) dans un lieu de self-stockage en dehors des zones d’habitat que de louer un appartement ou des bureaux plus grands, qui coûteront au moins 500 francs de plus par pièce», explique Raphaël Cohen, directeur académique du diplôme en Entrepreneurship and Business Development à l’ Université de Genève.

En pleine croissance, le marché du selfstockage est prometteur sur le long terme: «Ce concept a été inventé aux Etats-Unis, commente Michel Balestra, directeur de Balestrafic à Genève, qui a créé l’entreprise de self-stockage Selfbox à Etoy, à côté de ses activités de déménageur. En Angleterre, on trouve un self-stockage pour 50’000 habitants, aux Etats-Unis pour 60’000 habitants. Nous sommes encore très loin de cette proportion en Suisse.»

Entre 1984 et 2005, l’évolution du marché américain des surfaces à louer a connu une explosion de 741% pour arriver à 50 000 points de stockage, représentant une surface de 200 millions de mètres carrés.

En Suisse, nous sommes encore loin de ces chiffres avec un point de stockage pour 720’000 habitants. Le potentiel est donc énorme et d’autant plus intéressant que les Suisses connaissent encore peu ces services: «C’est un paradoxe, constate le directeur de Zebrabox. Il y a une forte demande, mais une majorité de la population méconnaît encore le self-stockage. Il reste un gros travail de marketing à faire.» Les entreprises qui ont investi dans ce secteur connaissent une belle croissance: «Nous avons créé Selfbox en 2004 et enregistrons une croissance de 15 à 20% par an», confie Michel Balestra. Il n’est donc pas étonnant que le marché attire d’autres concurrents telle la française Homebox, qui a ouvert une filiale à Genève il y a deux ans et compte s’étendre à Lausanne et en Suisse alémanique.

Même des agriculteurs se mettent au self-stockage, comme le Vaudois Jean-Robert Küffer, qui vient de lancer Flexstockage. Alors que le pionnier Zebrabox, présent à Lausanne, Berne et Bâle, compte développer son offre à Zurich cette année.

Selon les acteurs du marché, il reste de la place pour de nouvelles entreprises même si la concurrence commence à jouer entre les prestataires, qui se distinguent avec de meilleurs tarifs, des locaux chauffés, des chariots ou des caméras de sécurité perfectionnées. «Comme pour les grandes surfaces, la localisation est primordiale, souligne Michel Balestra. Il faut se trouver près d’un centre-ville ou de l’autoroute. Autant de facteurs qui nécessitent des investissements.»

Ainsi, Jean-Robert Küffer a dû investir plus de 700’000 francs pour ses 61 box à Chéserex (VD). Et si toutes les entreprises connaissent un retour sur investissement intéressant, il se fait plutôt lentement: «Il faut un certain temps pour remplir les locaux à 90%, observe Christian Schmutz. C’est pourquoi nous les construisons progressivement, parfois sur plusieurs années. Mais une fois ce taux atteint, les affaires marchent bien.»

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TEMOIGNAGES

«Le marché du self-stockage a encore du potentiel»

Christian Schmutz, CEO de Zebrabox

Zebrabox, un nom et un symbole: «En apparence, nos clients sont comme les zèbres, tous pareils. En réalité, ils ont chacun des besoins différents, auxquels nous souhaitons répondre, résume Christian Schmutz, fondateur et CEO de cette PME basée à Lausanne, qui emploie 18 personnes. Notre succès s’explique par le fait que nous sommes très flexibles et que nous offrons des services très personnalisés.»

Par exemple, les clients peuvent indiquer l’adresse de leur box en tant qu’adresse de livraison pour des marchandises. Zebrabox s’occupe de les réceptionner. De même, l’entreprise s’est équipée en logiciels permettant un suivi de qui dépose ou enlève quoi. Cela est particulièrement apprécié par des entreprises dont plusieurs représentants accèdent aux box. L’ aventure entrepreneuriale de cet ancien cadre d’une grande marque de cosmétique a débuté en 2003, lorsqu’il observe une demande croissante pour le self-stockage en Suisse.

Bien vu: après avoir loué 700 box à Lausanne, il en propose à Zurich, Berne, puis Bâle. Actuellement, plus de 3500 box sont à disposition, avec des surfaces de 1 à 45 m’3 et des tarifs qui débutent à 49 francs par mois pour les plus petites surfaces. Zebrabox connaît une croissance d’environ 10% par an et compte continuer son expansion en Suisse. «Il y a encore du potentiel, mais il ne faut pas brûler les étapes. Nous investissons beaucoup dans le marketing avec des campagnes d’affichage, TV et Internet. Les gens ne connaissent pas encore assez les services que nous offrons.»

«Une activité nettement plus rentable que l’agriculture»

Jean-Robert Küffer, fondateur de Flexstockage

Fils d’agriculteur dans le village de Chéserex, au-dessus de Nyon, Jean-Robert Küffer se voyait perpétuer la tradition familiale. Jusqu’à ce qu’en 2003, les nouvelles normes fédérales sur le bétail ne l’obligent à une rénovation complète de son étable. «Mes vaches n’étaient pas assez rentables pour un tel investissement. J’ai alors cherché une solution sur le Net et je suis tombé sur des entreprises de self-stockage américaines. J’ai alors décidé de copier leur modèle.»

En avril 2011, il a inauguré 61 box flambant neufs. Sous l’appellation Flexstockage, Jean-Robert Küffer loue des box de 3 à 32 m3 entre 45 et 280 francs par mois. Le succès est rapide: «Cela fait à peine quatre mois que j’ai démarré et 80% de mes box sont déjà loués! Des clients me contactent depuis Washington!» Une réussite que ce jeune père de 35 ans explique par le dynamisme de la région de La Côte qui accueille beaucoup d’expatriés.

Côté marketing, il a investi dans un site Web soigné en français et en anglais, a distribué des flyers et organisé des journées portes ouvertes. «C’est surtout le bouche-à-oreille qui fonctionne. Et j’ai opté pour des tarifs légèrement plus bas que mes concurrents, avec les mêmes services.» Pour l’instant, Jean-Robert Küffer gère Flexstockage tout seul, sans employés. Il estime que cela lui prend 35% de son temps. Souhaite-t-il croître? «Oui, car cette activité est nettement plus rentable que l’agriculture. Mais je ne dispose pas de place chez moi. Je souhaite développer d’autres centres chez des collègues agriculteurs.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.