LATITUDES

Blanc, black, beur: une polémique au raz du gazon

L’affaire des quotas de footballeurs issus de l’immigration, qui déchire la France, montre surtout les dégâts d’un anti-racisme de posture menaçant l’art subtil du vivre ensemble. Et générant d’abord des matchs nuls. Vraiment nuls.

Tempête dans un verre de Blanc. Que dire, sinon? Rien, et c’est cela justement qui est intéressant dans cette histoire. Une non-histoire plutôt. Juste une discussion de travail sur les jeunes joueurs de football binationaux qui, après avoir bénéficié de la formation et du soutien de la filière française, reconnue comme une des meilleures du monde, finissent, adultes, par choisir de jouer pour leur sélection nationale d’origine.

Des jeunes qui auraient tout aussi bien pu être moluquois, nord-coréens, ou schtroumpfs, mais qui, histoire et géographie hexagonale oblige, s’avèrent pour l’essentiel noirs africains ou maghrébins.

Le débat certes dérive ensuite sur le profil des jeunes joueurs à retenir désormais en priorité. Il convient quand même de savoir, avant de s’exciter pour des nèfles, que depuis une vingtaine d’années, au niveau mondial dans le football, les grands et les costauds ont la priorité. Un choix purement sportif qui va provoquer, pour d’évidentes raisons physiologiques, un afflux de joueurs africains sur tout le continent européen, y compris jusqu’en Russie. Et en France aboutir à une surreprésentation, voulue et logique, des jeunes Blacks issus de l’immigration, ou des Antillais.

Certains entraîneurs, en France, en Suisse, en Allemagne, partout, refusaient même, refusent encore, d’entendre parler de joueurs mesurant moins d’1 mètre 85.

Jusqu’à ce que, depuis 4 ou 5 ans, le football espagnol s’impose sans conteste comme le meilleur du monde, avec une majorité de petits joueurs et sans le moindre Black dans la sélection nationale.

C’est ce qu’a souligné, certes maladroitement, le sélectionneur français Laurent Blanc, avec cette allusion, prétendument scandaleuse, à des Espagnols qui n’ont pas de problème avec les Blacks «puisqu’ils n’en n’ont pas». Une phrase anodine, si on la lit dans son contexte. A savoir: pour gagner, pas besoin d’aligner forcément des armoires à glace, qu’elles soient normandes ou sénégalaises.

Avec ces critères purement physiques, la France a d’ailleurs failli passer à côté d’un des ses meilleurs joueurs actuels, Mathieu Valbuena, auquel son club formateur, Bordeaux, avait refusé un contrat professionnel: trop petit, le bonhomme. Victime d’une discrimination à la taille, Valbuena a galéré quelques années dans les ligues inférieures avant d’être récupéré par Marseille et de devenir international. On voit bien à travers cet exemple que le débat sur le profil physique des joueurs à privilégier désormais s’avère parfaitement légitime.

Ce qui est donc gênant, ce ne sont pas tant les considérations banales de Laurent Blanc, mais l’ampleur du raffut qu’elles provoquent. Et qui révèle non pas tant une affaire de racisme qu’une incapacité désormais au débat, au dialogue, à la tolérance, à la saine controverse, argument contre argument, plutôt qu’anathème contre anathème. La base du vivre ensemble n’est-elle pas de tout pouvoir se dire? Ou du moins de ne pas grimper aux rideaux à la moindre remarque, au plus petit mot de travers?

Crier au loup, au racisme, à la discrimination à chaque occasion, c’est vider de leur substance les notions même de racisme et de discrimination. Si tout est racisme, plus rien ne l’est. Jouer les censeurs et les aboyeurs permanents, traquer le «dérapage» jour et nuit, qu’il vente ou qu’il neige, c’est aussi donner de la crédibilité à la paranoïa faux-cul des partis populistes — genre FN ou UDC — qui se prétendent bâillonnés par les élites et les médias.

La vraie phrase scandaleuse de Blanc, finalement, est celle où il se dit «très préoccupé» par le problème des binationaux préférant jouer pour leur pays d’origine. Scandaleuse parce que parfaitement stupide: chacun sait qu’en France, les binationaux ne se tournent vers leur sélection d’origine que lorsqu’ils ont compris n’être pas assez bons pour avoir leur place chez les Bleus. Les meilleurs choisissent toujours, d’abord, la France. Contrairement à des pays aux sélections moins prestigieuses. La Suisse par exemple. Là les binationaux peuvent être tentés de choisir d’abord leur pays d’origine, comme s’est arrivé chez nous avec les croates Petric et Rakitic. Dont les familles ensuite ont dû essuyer dans nos belles campagnes, insultes et menaces. Nos Blacks à nous en revanche — Djourou, Nkufo — sont restés fidèles au maillot rouge à croix blanche.

Enfin, ce n’est pas faire injure à Mediapart, qui a révélé la prétendue affaire des quotas, de dire que le football n’est pas la première de ses compétences. Ses journalistes ne semblent pas avoir compris grand chose à la problématique, eux qui en ont conclu que le sélectionneur français voulait privilégier «les petits gabarits blancs». De ces petits gabarits, désormais à la mode, outre Valbuena, l’équipe de France en possède bien un, négligé par Domenech, mais mis en avant par Blanc: manque de chance, il est issu de l’immigration, il s’agit de l’algérien Samir Nasri. Chacun qui s’y intéresse sait bien que le foot attire les beaufs et les skins, mais se moque en réalité parfaitement des couleurs.

Ces approximations médiatiques seraient péchés véniels si les dégâts ne s’avéraient déjà considérables. Avec pour effet principal de dresser, en France, les communautés les unes contre les autres, à propos de futiles et microscopiques broutilles. Et d’abord chez ceux censés servir de modèles: les célébrités blacks du foot tombent sur Blanc à pieds raccourcis, tandis que les blanches dégagent en touche et le soutiennent à fond. Résultat: un match vraiment nul.