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La conjuration des imbéciles

L’affaire Hainard et l’affaire Rappaz n’ont rien de commun. Sauf d’avoir provoqué à gauche et à droite des pataquès politiques peu glorieux. La palme au gentil conseiller national Jean-Charles Rielle.

L’un ouvre une étude, l’autre ferme sa gueule — pour cause de grève de la faim. Rien de commun bien sûr entre Frédéric Hainard et Bernard Rappaz. Si ce n’est une belle constance à se maintenir, nolens volens, dans l’actualité. Une constance qui doit beaucoup pour l’un à l’acharnement intéressé de ses adversaires et pour l’autre à la bêtise désintéressée de ses soutiens.

Frédéric Hainard, donc, l’ex-conseiller d’Etat foutraque et déchu annonce l’ouverture d’une étude d’avocat dans sa villa chaux-de-fonnière et familiale. Une semaine en gros après avoir bruyamment pleurniché dans Le Temps sur l’impossibilité pour lui, à jamais, de retrouver des clients. En cause, dixit, «la réputation que m’a faite Le Matin». Un Matin d’ailleurs pas forcément très satisfait aujourd’hui, et même inquiet. Comment? Tourner la page? Lui? Hainard? Un si bon client? Ne laissons pas faire ça, c’est l’honneur de la presse qui est en jeu.

Fort heureusement, il reste une lueur d’espoir. Peut-être bien, après tout, que lui, Hainard le juriste, l’avocat de profession, ne serait pas dans son droit en ouvrant, au lieu mettons d’une boucherie ou d’un salon de coiffure, bêtement une étude. Qui sait en effet, si par hasard une infraction comme l’abus de pouvoir ne ferait pas partie des délits susceptible de provoquer fissa une radiation du barreau? Suspense, l’enquête continue, les limiers s’activent. Avec pour seul et pur objectif, cela va sans dire, une nouvelle victoire du grand journalisme.

Si l’on a les adversaires qu’on mérite, il semble aussi que ce soit un peu la même chose avec les alliés. Le gréviste de la faim et chanvrier multirécidiviste Rappaz se serait écrié «Tiens, voilà mon bourreau!» en voyant débarquer à son chevet le médecin et conseiller national PS Jean-Charles Rielle, croyant qu’il venait pour l’entuber. Enfin, le nourrir de force. C’était une méprise, mais un peu ça quand même.

Il n’est pas sûr en effet que les énormités proférées par Rielle servent la cause de Rappaz. Ni ses motivations troubles à prendre le sillage médiatique du chanvrier, lui, le croisé blanc, garanti sans œdème, de la lutte anti-tabac. Rielle lève les bras au ciel, affirme qu’il n’a «jamais vu personne mourir à cause du cannabis». Voilà donc le bon docteur qui imagine de la fumée passive partout, soudain plus du tout impressionné par un bon joint actif de temps en temps.

Jusque là le gentil humaniste Rielle ne prêterait qu’à rire. Ce qui est à pleurer en revanche c’est de l’entendre invoquer ses valeurs politiques — «Attends Rielle, tu es de gauche. Il y a des choses pour lesquelles tu dois te battre» — pour justifier son soutien à Rappaz. Un Rappaz condamné pour des faits connus, reconnus, pratiqués, assumés durant plusieurs décennies. Jean-Charles Rielle n’a-t-il personne d’autre à visiter en prison? D’authentiques victimes de vraies erreurs judiciaires ou d’injustices administratives?

Jean-Charles Rielle préfère sans doute symboliser jusqu’à la caricature cette gauche dérivante, crachant sur ses propres gênes. Une gauche qui n’a que faire de ceux qu’elle est censée représenter et défendre en priorité. Les plus démunis, les précarisés, lesquels n’ont que mépris pour un personnage de l’acabit de Rappaz — symbole de fainéantise, d’égoïsme, de négation de l’Etat et de la justice, bref bouffon de droite — et ne demandent pas grand-chose. Juste des conditions de travail moins brutales, des salaires permettant au moins de tenir le mois, plus de sécurité aussi.

Des broutilles qui n’intéressent pas le député Rielle, lui qui n’a à proposer que l’interdiction de fumer dans les lieux publiques. Une mesure qui pénalise d’abord toujours les classes laborieuses où se recrutent le gros des fumeurs. Rielle, en bon bobo, n’a rien en revanche contre le cannabis, du moins contre son «usage récréatif en fin de semaine».

Si Frédéric Hainard est sans doute ce que la droite romande a produit de pire ces dernières années, la gauche tient avec Rielle son cancre dévoyé. L’occasion rêvée, grâce à ces deux impeccables démocrates, de méditer ce classique de la littérature antidémocratique, «La révolte des masses» de José Ortega y Gasset, justement réédité aux Belles-Lettres et où l’on peut lire, page 69:«Etre de gauche ou être de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile; toutes deux, en effet, sont des formes d’hémiplégie morale.»