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Tout au fond à gauche

Le virage pris par le PS au congrès de Lausanne a tout du grand bond en arrière. Mais les pratiques, elles, lorgneraient plutôt du côté de l’UDC. À commencer par les larmes d’Ada Marra.

Evidemment que la social-démocratie a échoué partout. Evidemment que la crise financière est passée par là, révélant la face la plus abjecte du capitalisme. Evidemment, aussi, que les raisons d’être de l’armée suisse s’approchent de plus en plus de l’infiniment petit. Evidemment, encore, que l’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers est un parfait trompe-couillons.

Faut-il pour autant, comme le PS semble le vouloir, reprendre des postures cacochymes, des réflexes d’avant la chute du mur, et ressortir une rhétorique de guerre froide, assaisonnée à la sauce contemporaine d’un politiquement correct aussi creux que bonasse?

Pour prôner «le dépassement du capitalisme» dans un programme politique en 2010, comme l’ont fait les socialistes lors de leur congrès de Lausanne, il faut en tout cas être doté d’une grosse capacité d’oubli. Il faut ne pas vouloir se rappeler à quoi toutes, absolument toutes les expériences d’un tel dépassement ont conduit. Ne pas vouloir se demander qui a échoué de manière plus significative, tragique et profonde: la social-démocratie à la suédoise ou l’Union des républiques socialistes soviétiques?

Quant à l’abolition de l’armée, autre vieille revendication socialiste revenue brusquement sur le devant de la scène, pourquoi pas. Nous ne sommes plus en 1939. L’influence des troupes sur la préservation de la paix en Helvétie n’a jamais été démontrée, là où la diplomatie et l’économie ont joué des rôles eux incontestables. N’empêche: c’est une position plutôt hypocrite à défendre lorsque l’on participe au gouvernement.

Le président du PDC Christophe Darbellay a donc beau jeu sur ce coup-là de mettre le PS dans le même vilain sac que l’UDC, deux formations qui «veulent être à la fois dans l’opposition et au pouvoir» et qui n’hésitent pas «à conclure des alliances contre nature». On peut en tout cas tranquillement parier que malgré ce tonitruant retour à l’anti-capitalisme primaire et à l’antimilitarisme radical, la direction du parti ne songera pourtant pas une seule seconde à claquer la porte du Conseil fédéral.

Ce virage-là, difficile donc ne de ne pas l’interpréter comme un pur mélange de posture idéologique et de tactique électorale. Le conseiller national Stéphane Rossini résume plus poliment les choses lorsqu’il parle de «notions symboliques mais qui disent bien la volonté de se démarquer des partis bourgeois et de dépasser une vision au jour le jour de la politique». Est-ce donc si difficile de se sentir de gauche? Faut-il vraiment s’accrocher aux vieilles lunes et chanter l’Internationale à plein poumons pour y croire encore? Abandonner bêtement à la droite le monopole du pragmatisme, du sens du réel et de la volonté d’arriver à des résultats?

Bien sûr les larmes d’Ada Marra en ont ému quelques-uns, lorsqu’au moment de défendre le double non à l’initiative UDC et au contre-projet, elle choisit d’évoquer son père, «ouvrier immigré italien». Histoire de plaider «le courage politique» plutôt que la «real politik».

Sauf qu’une fois les mouchoirs rentrés, on ne voit pas bien le rapport. Qu’y a-t-il en effet de commun entre un ouvrier immigré et un criminel? Sauf une grande confusion mentale qui donnerait à penser que le seul fait d’être étranger suffise à jeter dans la même opprobre ou au contraire la même fraternité, et l’ouvrier et le criminel, il faut bien répondre: rien, absolument rien.

Il faut se méfier de toute façon des larmes en politique, qui peuvent surtout signifier deux choses: la perte de maîtrise ou la mise en scène faux-cul. On peut parler dans ce dernier cas de ficelle lacrymale, une façon parfaitement UDC, émotionnelle de se faire mousser, tout en évitant la confrontation rationnelle, et qui peut rapporter gros, tous les communicants le disent.

A l’inverse, la nouvelle conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a échoué à défendre seule devant le congrès, et en gardant les yeux secs, le rejet de l’initiative et le oui au contre-projet. Echouer à présenter le droit à la sécurité comme une valeur authentique et précieuse. Les camarades l’ont balayée, préférant désormais travailler plutôt avec les glandes que la tête.