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Bernhard Pulver, taillé pour le Conseil fédéral

Un électeur sur deux a voté pour lui aux récentes élections cantonales bernoises. L’élu vert incarne la victoire du dialogue sur la polarisation. De la nuance sur la grosse caisse. Un exemple à suivre pour freiner l’UDC?

Il a fait parler la poudre, Bernhard. Arrivé devant tous ses adversaires et alliés lors des élections cantonales bernoises, le vert Pulver, en charge de l’instruction publique, se sent pousser des ailes. Ou plutôt on les lui fait pousser. Les commentateurs avisés le voient déjà marcher sur le Palais fédéral, qui certes n’est pas bien loin, à quelques trottoirs. Puis en chasser quelque vieillissant fantôme radical et devenir le premier écolo à s’incruster parmi les sept sages. Quand on lui présente ce scénario, le polyglotte Bernhard Pulver ne dit pas nein.

C’est vrai qu’il a tout pour plaire, cet homme. Il aura tout fait en tout cas pour ne pas ressembler à un politicien bernois. Une notion, le politicien bernois, qui évoquait jusqu’ici plutôt un sportif extraverti disant tout ce qui lui passe par la tête, même et surtout quand il ne s’y passe rien, façon Adolf Ogi. Ou alors le bon ours taiseux affectant de n’en penser pas moins, surtout quand il n’en pense rien du tout, bien bougon, mais toujours très maladroit, à la Samuel Schmid.

Avec Bernhard Pulver, il ne reste rien de ce folklore suranné. Le fringant conseiller d’Etat pousse en effet l’outrecuidance jusqu’à s’afficher «citadin, cultivé, raffiné, amateur de grande musique, homosexuel». C’est d’ailleurs par un baiser en public, et sur la bouche, administré à son compagnon, que Bernhard Pulver a salué l’annonce de son triomphe.

Malgré tous ces handicaps, en dépit de ces quasi tares — homosexuel, passe encore, mais cultivé, mais raffiné, mais la grande musique, quel politicien sérieux, aujourd’hui, s’amuse encore à ça? –, oui malgré tant de défauts qui pouvaient sembler rédhibitoires, un électeur bernois sur deux a voté Bernhard Pulver.

Un magistrat qui, en plus, parle vite, et se montre toujours très chaleureux: les clichés bernois n’en finissent pas de voler en éclat. Ce n’est pas tout: il adore aussi la contradiction, la contre-argumentation, un art qu’il force ses collaborateurs à pratiquer contre ses propres idées. Sa méthode est vite définie: «Afficher des idées claires mais être capable d’y intégrer des avis divergents». Il prétend même — personne n’est obligé de le croire — que lorsqu’un UDC «fait une proposition», lui, Bernhard Pulver, «l’écoute». Ce qui est bien noble et généreux de sa part.

Et pourtant le petit Bernhard a été emporté très tôt par la marée verte, manifestant sur la Place fédérale en 1977 contre le nucléaire — il avait 12 ans. Depuis, il a mis de l’eau dans son réacteur, puisqu’il se définit comme un «écologiste libéral-social», positionnement suffisamment large pour ne se fâcher avec personne. Rassembler et réconcilier les adversaires irréductibles semble être un peu une deuxième nature chez lui, qui aurait tout aussi bien pu s’appeler Bernhard le pivot. Pivot «entre la gauche socialiste et le centre droit, les villes et les campagnes, les alémaniques et les francophones», égrène, admiratif, le correspondant jurassien du quotidien «Le Temps».

Lui, simplement, trouve que 25’000 voix de plus qu’il y a quatre ans sur son nom, «c’est très émouvant». Quand on lui reproche d’avoir obtenu ce résultat en cédant et concédant beaucoup, en bradant largement ses propres convictions, bref en menant une politique centriste, il rétorque qu’il s’agissait de «faire avancer le canton en tenant compte de nos adversaires politiques».

La méthode semble avoir fait une victime principale, l’UDC et ses grosses caisses polarisantes, ses provocations simplistes, sa haine des nuances. Face au gentil parti bourgeois (PBD), le candidat blochérien Albert Rösti, directeur des producteurs suisses de lait, s’est ainsi retrouvé, contre toute attente, dans les choux.