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Monsieur Béglé et les Ouïgours

La Poste doit-elle s’envoyer à l’étranger? La Suisse peut-elle se fâcher avec la Chine? Le Conseil fédéral préférerait ne pas avoir à répondre à de si embarrassantes questions.

Trop ambitieux, exagérément tonitruant, assoiffé de pouvoir, mégalomane, trop autoritaire, trop excentrique, bref, trop tout. Les reproches adressés au président du Conseil d’administration de la Poste, Claude Béglé, semblent d’avantage sortis d’une vaine querelle d’amoureux que d’une sérieuse analyse critique. Que du flou, du vague, du supposé, du fantasmé, rien de bien concret ni de sérieusement chiffré. Tout spécialement du côté alémanique du mur de röstis, où «grand patron romand», cela sonne un peu comme un oxymore.

La presse zurichoise en a donc fait des tonnes, parlant de «Schlamperei» — travail bâclé — à propos de la nomination de Béglé il y a huit mois sous la houlette de Moritz Leuenberger. Et d’évoquer déjà, même si cela n’a strictement rien à voir, des similitudes entre le cas Béglé et la triste affaire Nef — l’éphémère et un peu déséquilibré chef des armées trop légèrement intronisé à l’époque par Samuel Schmid.

Tout cela, avec une fournée de points d’interrogation hypocrites et de conditionnels fielleux, sent un peu l’expéditif procès en sorcellerie. Béglé, certes, est un brutal n’hésitant pas à se débarrasser fissa de son directeur Michel Kunz, qui avait eu l’outrecuidance de contester sa stratégie. Ah, la stratégie de Claude Béglé, qui fait pousser de hauts cris dans le landerneau alémanique: son principal crime semble avoir été de préconiser une expansion de la Poste — oui notre poste, votre poste, ma poste, ta poste — vers l’étranger.

L’étranger! A–t-on idée? Au XXIe siècle? Il faut être fou. Bien sûr, il existe des précédents douloureux, traumatisants même, des exemples de grenouilles suisses qui ont fini par rendre tripes et boyaux à force se vouloir, de se croire bœufs de poids mondial — Swissair, pourquoi tu tousses? On peut quand même être effaré, dans le cas de l’hallali lançé contre Claude Béglé, par cette mentalité de villageois qui tremblent à l’idée de poser ne serait-ce qu’un petit pied hors de leurs bornes communales.

Quant à Moritz Leuenberger, il a commencé par faire du Moritz Leuenberger. C’est dire de la valse-hésitation, défendant puis ne défendant plus Béglé, l’important semblant être pour le Zurichois qu’aucune tache, aucune vilaine éclaboussure, ne viennent souiller son chic costume de bobo malin, raffiné et un peu paresseux. Puis le doyen du Conseil fédéral s’est réveillé, a tranché, apporté clairement son soutien à Béglé. Jusqu’à dire cette évidence: que le péché principal de Claude Béglé est d’être «plus engagé que ce qu’on connaît habituellement en Suisse».

En revanche, Micheline Calmy-Rey continue de se planquer, bien au chaud dans son condominium des affaires étrangères et de laisser sa collègue Widmer-Schlumpf s’enfoncer dans un piège que pourtant toute seule, comme une grande, la Genevoise et personne d’autre, a bien actionné. En se précipitant chez Hillary Clinton pour annoncer que la Suisse était prête à accueillir des ex-détenus ouïgours de Guantanamo.

Une décision purement idéologique, basée sur un anti-américanisme de principe qui transforme Guantanamo en une sorte d’Auschwitz et les terroristes présumés en martyrs certains. Une décision dont on voit aujourd’hui les funestes, les indignes conséquences: se fâcher avec la Chine non pas pour une bonne cause — la défense par exemple de dissidents ou un accueil du Dalaï-lama digne de ce nom — mais juste pour les beaux yeux de deux islamistes.

Quant au ministre jurassien Charles Juillard, qui lui aussi trépigne d’accueillir les deux Ouïgours dans son beau canton — comme s’il n’y avait rien de plus urgent, comme s’il n’y avait pas d’autres misères à soulager, d’autres personnes méritantes à protéger —, on pourrait lui conseiller de suivre l’exemple de l’excellent maire de Delémont Pierre Kohler: s’il ne s’agit que de se faire mousser — et tel est bien le but dans cette affaire –, autant importer de Chine des miss en maillot de bain plutôt que des fous d’Allah, même présumés, même habillés.