Ainsi les caméras de surveillance ne seraient pas assez dissuasives… Le personnel manque pour contrôler en direct ce qui est filmé. Qu’à cela ne tienne: le site anglais Internet Eyes recrute des internautes et les transforme en cerbères, rémunération à l’appui.
Les policiers n’ont pas pu identifier ni arrêter le jeune homme qui a commis, fin octobre, un braquage dans une station service d’Onex, malgré l’abondance de caméras de surveillance nichées dans et hors du magasin.
Les salles de cinémas proches de la gare, à Genève, ont placé des piques au bas de leurs vitrines pour éviter que les toxicomanes ne s’y installent. Car les caméras de surveillance ne suffisent pas à les dissuader.
Partisans et détracteurs s’affrontent sur le terrain de l’efficacité de ces caméras. En France, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux vient d’annoncer le triplement de leur nombre d’ici 2011, alors même qu’un récent rapport du ministère de l’intérieur n’est pas parvenu à prouver leur effet dissuasif. Plus fâcheux, dans «Un rapport qui ne prouve rien», deux sociologues, Tanguy Le Goff et Eric Heilmann, tentent eux de démontrer l’inefficacité de cet outil.
Avec 4,2 millions de caméras sur leur territoire, les Britanniques vivent dans un univers orwellien. «On nous espionne davantage que le Nord-Coréen moyen (…). Aux yeux de ce gouvernement, nous sommes tous des criminels en puissance», s’insurge Philip Johnston dans le «Daily Telegraph» (article repris dans «Le Courrier international» du 12-18 novembre).
En 2009, «1984», le roman d’anticipation de George Orwell, est en effet en bonne voie de concrétisation avec comme dernier épisode en date un projet pilote nommé «Internet Eyes».
Big Brother manque d’yeux. Comment trouver des personnes attentives à placer derrière tant de caméras? C’est pour répondre à cette question qu’est né le projet. Dès la fin du mois de novembre, tout usager d’internet inscrit sur le site devrait pouvoir se muer en «vidéosurveilleur».
«Aidez à la réduction des crimes et soyez rémunéré pour votre travail», lit-on sur le site qui recrute. C’est dans la ville natale de William Shakespeare, à Stratford-upon-Avon, que l’expérience devrait débuter. Des volontaires installés chez eux devant leur ordinateur et connectés à l’une des caméras de la ville pourront, d’un simple clic, donner l’alarme lorsque défilera sous leurs yeux une image jugée suspecte.
Depuis des années, Scotland Yard réclame en vain des renforts de personnel pour sortir de leur inutilité des milliers de caméras de surveillance non surveillées. En vain. Puisqu’il n’y a pas suffisamment de policiers pour effectuer ce travail, transformons les citoyens en flics: l’idée est de James Woodward, le fondateur d’«Internet Eyes», qui vend aux propriétaires privés de caméras la possibilité de relier leurs appareils à des «hobby sheriffs» qui, à domicile, surveilleront attentivement leur écran.
D’autant plus attentivement que cette chasse aux délits grandeur nature se veut ludique. Un nouveau jeu est lancé: quel internaute débusquera le plus de délinquants? Des points sont attribués selon des règles bien précises. Chaque mois, un classement sera établi et les mieux classés gagneront jusqu’à 1’000 livres. Que de mini drames shakespeariens en perspective!
Dans un premier temps, seuls les magasins et les entreprises qui en feront la demande constitueront les terrains de jeux des «vidéosurveilleurs». Le rêve d’«Internet Eyes»: proposer d’ici la fin de l’année ses services pour les caméras des espaces publics.
Tout cela paraît tellement gros que l’on est enclin à se demander s’il ne s’agit pas là d’une énorme farce destinée à tester les réactions des précurseurs en matière de droits et de libertés individuelles que furent les Britanniques. Des réactions, il y en a! «Inciter chacun à se transformer en délateur est une idée désastreuse», dénoncent les défenseurs de la sphère privée qui estiment que le plus grand danger consiste à s’habituer à l’érosion de notre intimité.
Charles Farrier, qui fait campagne pour la liberté civile, est horrifié face à la création d’un «snoopers paradise». Bref, le projet est pris très au sérieux et les médias répercutent le débat suscité par les dérives d’une société sécuritaire qui fait joujou avec les dernières technologies.
Assiste-t-on à un canular au pays de Shakespeare? On le saura d’ici quelques jours. En attendant, une chose est certaine, la frontière mexicaine avec les Etats-Unis est déjà partiellement surveillée à partir des canapés d’internautes lambda qui visualisent des caméras de surveillance.