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Dealers: la raison du plus fou

A Genève et Lausanne, les extrêmes de droite et de gauche montrent une réelle volonté de s’en prendre aux dealers. Où sont les partis traditionnels sur ces questions-là?

Sus donc aux méchants dealers, sur les trottoirs des Pâquis comme au fond des placettes ou dans les prés lausannois. Mais qui donne l’assaut? Qui allume la mèche, lance le «taïaut!» de ce fort combat? Qui cherche à débarrasser nos rues de ces petites troupes mortifères symbolisant désormais pour la population le mal absolu, puisque visible à l’œil nu, puisqu’à portée de mains. Oui, qui?

On le sait bien, même si cela paraît à peine croyable. A Genève, il faut compter sur la droite de la droite, sur cet hétéroclite, cet irrationnel mouvement des citoyens. Oui, il faut compter sur ce gros beauf d’Eric Stauffer qui promet de nettoyer la République en 45 jours.

A Lausanne, le scénario n’est pas moins troublant puisque c’est le municipal POP en charge de la police, Marc Vuilleumier, qui montre les crocs avec la création de dix postes supplémentaires spécialisés dans l’intervention de rue. Curieux parce que Marc Vuilleumier appartient à cette extrême gauche qui a fait du déni d’insécurité l’une de ses nauséabondes spécialités.

D’où une question qui surgit, presque immédiatement: mais ils sont où, les partis traditionnels, sur ces questions-là? Cela ne les intéresse donc pas, les nuées de dealers à l’air libre dans nos rues? Ils sont où, ces radicaux si responsables? Ces démocrates-chrétiens si moralistes? Ces socialistes si humanistes?

Mais peut-être que tous ces beaux esprits n’aiment pas, non plus, se salir les mains.

Quand une droite extrême, quand une gauche communiste, veulent défier la délinquance sur son terrain, que répondent nos modérés, les gentils sociaux-démocrates, les bons bourgeois? Po-pu-lis-me. Un échappatoire bien commode.

Ce sont les même qui ont promulgué, vendu, chanté les mérites d’un système qui a fait depuis la preuve de sa faillite et de son incongruité: les jours-amendes au lieu de détentions fermes et qui ne dissuadent ni ne punissent personne.

Pourquoi ne pas dire plutôt la simple vérité? Que la lutte contre les dealers est une tâche bien plus complexe qu’il peut sembler du café du Commerce. Qu’elle nécessite volonté, finesse, mais surtout d’importants moyens. Ce qui n’est pas une raison pour y renoncer.

On est surpris, pourtant, de la simplicité du plan proposé par Vuilleumier, et de son évidence: l’augmentation du nombre des agents en civil sur le terrain chargés d’interpeler les flagrants délits. On est plus surpris encore par la réaction étonnée, bien molle, des partis traditionnels.

Certes, la conseillère d’Etat radicale Jacqueline de Quattro, en charge du département vaudois de la sécurité, confesse «approuver totalement» l’initiative de Vuilleumier, mais pour aussitôt y ajouter une kyrielle de bémols. Par exemple, le manque de coordination avec la police cantonale. Dommage en effet que cette si brillante, cette si simple idée, la magistrate ne l’ait pas eu d’abord elle-même.

Et puis, au passage, Jacqueline de Quattro dénigre, l’air de rien, le travail de terrain, laisse entendre qu’il ne s‘agit là que de coups d’épée dans l’eau sale tant que la Confédération n’aura pas pris à son tour ses responsabilités. Comme le fait de signer «des accords de réadmission avec les pays d’Afrique de l’Ouest d’où sont issus la plupart des dealers de cocaïne». Ce qui n’est, non plus, pas une excuse pour rester bras croisés. Jacqueline de Quattro exige aussi, dans la foulée, la suppression des jours-amendes. Bien sûr, mais il fallait peut-être y penser avant.

A Genève, ce fut encore pire: la modestie, pour ne pas dire la nullité des ripostes aux vantardises du roi de la gonflette Stauffer ont été proprement stupéfiantes.

Le PS botte en touche et parle de «simplisme». Les radicaux, assez stupidement, évoquent «une volonté qui ne sent pas très bon». Les libéraux raillent le manque de réalisme de telles propositions: «Stauffer prend ses désirs pour des réalités».

L’UDC, enfin, dans le plus pur style «hôpital qui se fout de la charité», explique qu’il est facile de proférer pareilles énormités — nettoyer Genève en 45 jours — lorsque l’on n’est pas un parti gouvernemental.

Il n’est dans le fond pas trop difficile de comprendre, de la part de l’establishment, la raison de ces manœuvres dilatoires, de ces faux fuyants face au problème des dealers: comment admettre en effet, lorsque l’on se targue de sérieux, d’intelligence, de mesure et d‘un grand sens des responsabilités, comment admettre que des hurluberlus notoires peuvent avoir raison contre votre paresse et votre pusillanimité?