Libération des otages ou pas, avec la performance de Hans-Rudolf Merz à Tripoli, jamais une démocratie ne s’était reniée publiquement à ce point.
Otages libérés ou pas, le résultat de la désormais fameuse «affaire libyenne» reste le même. Le spectacle d’un gouvernement — le nôtre — qui accumule reculades, initiatives grotesques, capitulation en rase campagne.
Pour finir par renier, avec la déjà légendaire rencontre entre le petit homme d’Appenzell et les bédouins de Tripoli, ce que le pays a de plus précieux: l’Etat de droit, une justice égale pour tous.
Une tête froide, quand même, semble émerger dans ce gouvernement transparent, celle d’Eveline Widmer-Schlumpf qui a dit, dès le début, la seule chose qu’il fallait dire: «Légalement, on ne peut pas présenter des excuses pour cette affaire».
Voilà le président de la Confédération coiffé non seulement d’un bonnet d’âne mais aussi du chapeau, trop gros pour lui, de hors-la-loi. Un côté desperado confirmé par tous les constitutionnalistes interrogés depuis ce noir 20 août, qui vit le représentant d’une démocratie s’agenouiller, pour implorer quasi leur pardon, devant pas même un satrape (l’un des plus ubuesque de la planète) mais seulement ses sbires.
On dira, mais tous lui lèchent honteusement les bottes à ce Kadhafi gorgé de pétrole, et aux poches pleines de contrats faramineux en matière d’infrastructures. Bien sûr, Sarkozy s’était fait piégé lorsque le colonel avait pris ses quartiers en plein Paris; bien sûr Berlusconi avait dû faire le poing dans la poche lorsque Kadhafi s’était présenté à Rome avec, épinglée sur sa poitrine, une photo montrant les horreurs commises par l’Italie coloniale et mussolinienne en Libye.
Mais personne, jamais, aucun représentant d’un Etat digne de ce nom n’est allé jusqu’à s’humilier publiquement, volontairement, devant le dictateur. Se rend-on bien compte de ce que cela signifie de la part du chef d’un état moderne, libre, que de présenter des excuses à un régime indigne, commanditaire durant plusieurs années d’attentats contre des cibles civiles? Et surtout, surtout, des excuses qui affirment haut et fort le contraire de ce qui est vrai, le contraire de ce qu’exige à la fois notre constitution et le simple honneur.
Soutenir que l’arrestation du bouillant Hannibal était «injustifiée et inutile», c’est soutenir qu’en Suisse, exactement comme en Libye, la justice est à plusieurs vitesses et à la tête du client. Bref, c’est renier des valeurs fondatrices pour épouser celles de l’adversaire, c’est le contraire d’une vraie politique et une forme suprême de pusillanimité.
On dira, oui mais les otages. La rengaine a tourné en boucle dans le monde politique comme dans les médias: l’affaire prendrait une toute autre tournure dès que les otages seraient libérés. Merz, de président indigne et incompétent se muerait alors en une espèce de fin renard au grand cœur, plus malin que les hommes du désert.
Sauf que, même avec la libération de ces deux personnes — qui avaient choisi la Libye comme terrain d’activités professionnelles en connaissant les risques inhérents à ce genre de régime paranoïaque — la tache restera pour longtemps. Celle d’une forfaiture qui vit, comme jamais auparavant, une démocratie cracher sur elle-même et sa raison d’être.
Curieusement, c’est un chroniqueur très proche des radicaux de Hans-Rudolf Merz, à savoir Jacques-Simon Eggly, qui a été quasi le seul à dire, dans Le Temps, ce qui semble pourtant être une évidence. A savoir que même avec des otages libérés, même avec des intérêts économiques préservés, ou plutôt réactivés, «les effets négatifs de la démarche de notre président sont graves…il y a un seuil de dignité et de souveraineté au-dessous duquel il ne faudrait pas tomber. Ce sont nos valeurs confédérales, et notre crédibilité internationale qui ont perdu la face».
Par la faute certes d’un homme mais aussi d’un gouvernement visiblement incapable sur chaque dossier sensible de faire la preuve d’un minimum d’unité et de cohérence. Comment Micheline Calmy-Rey a-t-elle pu laisser ce dossier filer complètement entre les mains d’un Merz qui semble aussi à l’aise en politique internationale que le concierge du Palais fédéral, et dont la présidence semble être méchamment montée à la tête?
A tel point qu’on est en droit de regretter que le 16 septembre prochain, un seul siège soit à repourvoir. Le nombre juste aurait sans doute été plus proche de 4, voire 5. Seule Widmer-Schlumpf continue d’exercer un quasi sans faute. Quant au petit dernier, Maurer, il n’a pas encore eu le temps ni les occasions suffisantes pour griller tout son crédit. Mais on peut lui faire confiance.
