LATITUDES

Le côté obscur du dauphin

Adulé dans les médias pour son caractère affectueux, le plus populaire des animaux se mue parfois en tueur sadique. Sa cible favorite: l’inoffensif marsouin. Paradoxe dans l’écosystème.

Les plus belles femmes du monde qui caressent et embrassent des dauphins: nous sommes aux Bahamas lors de la récente élection de Miss Univers. Notre Miss Suisse n’a pas fait exception. Comme ses rivales, Whitney Toyloy a succombé au charme de celui qui passe pour le plus sexy des animaux: le dauphin.

Ces prochains jours, c’est la sulfureuse Hyden Panettiere, l’héroïne de la série TV «Heroes» qui va danser avec ces mammifères marins afin de collecter des fonds pour la lutte contre la chasse commerciale en eaux internationales. Et ce n’est pas fini. Après avoir sauvé la planète dans quatre films, Pierce Brosnan nous demande de l’aider à sauver les dauphins japonais. Le film documentaire «The Cove» qui leur est consacré l’a bouleversé et transformé en protecteur de charme.

Les dauphins jouissent d’un charisme inégalé dans le monde animal. Bébés phoques, pandas et ours polaires ont connu leur heure de gloire mais ne tiennent pas sur la durée. Dans les années soixante déjà, la série télévisée américaine «Flipper le dauphin» faisait rêver des millions d’enfants. Aujourd’hui, en temps de crise, on parle de l’exemple des dauphins qu’il conviendrait d’imiter, eux qui savent si bien traverser les tempêtes, selon certains coaches.

Et les marsouins que j’ai côtoyés cet été? Pourquoi personne ne s’extasie lorsque j’annonce que «j’ai vu des marsouins dans la baie où je me baignais»? Ces animaux ne suscitent pas le moindre intérêt. Les jeunes filles ne fantasment pas à leur évocation. C’est avec les dauphins qu’elles rêvent de nager. Bien que vraisemblablement aussi intelligents et menacés que les dauphins, les marsouins vivent dans l’ombre de leurs cousins médiatiques.

Objets de décoration ou sex toys à domicile, en posters sur les murs au bureau, les dauphins sont partout. Tels des anges sous-marins, ils incarnent dans l’imaginaire collectif la beauté et la bonté présentes dans la nature. Ne donnent-ils pas l’impression de nous adresser des sourires permanents? Que n’a-t-on entendu au sujet de leur cerveau exceptionnel, aussi développé que celui des humains mais n’ayant pas envoyé de bombes atomiques et incapable de torturer ses semblables?

Quand les humains désespèrent de leur espèce, bon nombre d’entre eux cherchent la consolation et l’exemple à suivre du côté des animaux. Ainsi, les dauphins représenteraient précisément ce que les hommes devraient être: intelligents, toujours de bonne humeur et vivant en paix.

Un point de vue que ne partagent pas les marsouins. En effet, les dauphins semblent prendre un plaisir non dissimulé à les tuer au terme de ce que certains chercheurs assimilent à «un sport», pratiqué généralement par des mâles adolescents. Ils ne tuent pas les petits marsouins pour se nourrir, mais par jeu, parce qu’il est si tentant et agréable de supprimer des êtres moins rapides et plus faibles que soi.

Voilà de quoi ébranler la réputation de ces créatures et quel choc pour ceux qui les idéalisent! L’information est tombée sans connaître une large diffusion. Combien de temps encore le mythe des dauphins tiendra-t-il?

L’écosystème est peuplé de réalités dérangeantes. Des rhinocéros aux papillons, toutes les espèces ont une moralité douteuse pour qui porte un regard anthropomorphique sur le monde animal. Un monde nullement censé être une pépinière de moralité à l’usage d’humains paumés.