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Mon Dieu protégez-nous!

Se protéger des extrémistes de la défense animale, se protéger des bandits genevois, se protéger des sombres menées de Fulvio Pelli. «Tous au abris!», voilà le tube de l’été.

C’est ainsi: Daniel Vasella, le patron de Novartis, ne serait pas assez protégé, c’est lui qui le dit. Face au terrorisme mené par les défenseurs des animaux, qui ont profané sa tombe familiale et incendié son chalet autrichien, Vasella craint le laxisme des autorités: «La tentation de minimiser ou de comprendre est grande.»

De son côté, le loup — ou plutôt la cohorte de loups qui ensanglantent été après été les pages vides et donc avides de nos quotidiens — serait, lui, trop protégé, et même beaucoup trop. Ce sont les éleveurs de moutons qui le disent.

Comment savoir? Si le fameux adage hobbesien selon lequel l’homme est un loup pour l’homme reste valable (et il n’y a aucune raison qu’il ne le reste pas), il faut alors considérer Vasella, mais aussi chacun d’entre nous, comme plus redoutable pour ses semblables que le loup. Lequel n’est au fond un loup que pour des moutons livrés à eux mêmes dans la solitude des alpages.

Protéger alors le loup plutôt que Vasella? Minute: justifier et pratiquer l’expérimentation animale, qui reste un sujet de controverses aigu — donc sans évidence morale définitive ni universelle — n’autorise pas qu’on vous retire le droit de posséder un chalet intact, fut-ce en Autriche, et d’honorer vos morts dans la tranquillité.

De même, décréter que le loup n’a pas sa place ici ou là, par exemple en Valais, cela revient à inventer un droit absolu que telle espèce plutôt que telles autres posséderait sur certains territoires — le val des Dix, d’ailleurs, plutôt que l’Antarctique. Ni quelques rats lobotomisés, ni quelques brebis subventionnées croquées à la va-vite ne semblent des crimes suffisamment avérés pour vouloir dézinguer les fauteurs de troubles, qu’ils se nomment Vasella Daniel ou Canis Lupus.

C’est ainsi: les riches Saoudiens ne se sentent pas assez protégés à Genève. Une vingtaine d’entre eux auraient été victimes de vols ou d’agressions dans la paisible cité de Calvin. Le consul général d’Arabie Saoudite, Nabil al-Saleh, prédit déjà un exil de ces cossus habitués des palaces genevois. Des clients qui pourraient pousser la vengeance jusqu’à choisir comme nouveau lieu de villégiature ce paradis sécuritaire qu’est devenu Zürich.

Ce serait bien dommage. Genève offre en effet à ces importants et puissants personnages une occasion unique: celle d’être humanisés, rendus à la grande fraternité démocratique qui veut que chacun subisse les mêmes désagréments. Comme l’a éprouvé le fils Kadhafi, sans en être, il est vrai, excessivement reconnaissant aux autorités genevoises.

Non, les Saoudiens bousculés à Genève ne connaissent pas leur chance: partager le destin de «trois jeunes Vaudois de 18 à 19 ans» victimes d’une «agression gratuite» lors des dernières fêtes de Genève par «des racailles de 16 à 19 ans environ, dont deux filles». On a envie d’ajouter «deux filles environ». Voilà néanmoins qui vous rend tout de suite plus proche et plus sympathique n’importe quel arrogant milliardaire arabe.

C’est ainsi: les candidats libéraux-radicaux au Conseil fédéral ne se sentent pas assez protégés contre le machiavélisme de leur président, candidat sans l’être, et qui leur laisse prendre tous les coups pour rafler tranquillement la mise à la fin.

Comment savoir? Ici, mieux vaut sans doute s’abstenir de tout commentaire. À part que les deux candidats les plus crédibles à la succession d’un siège romand se révèlent être un Alémanique et un Tessinois — ce qui montre la faiblesse de la relève de ce côté-ci de la Sarine. Sinon, laissons ces gens-là tranquillement s’entretuer à leur guise. Pour la différence que cela fera au bout du compte.