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Couchepin, l’autre bilan

La démission du grand homme a provoqué une frénétique agitation d’encensoirs. Et si tout cela n’était que de la fumée sur de la fumée?

Sacré Pascal Couchepin: jusqu’au bout, même en démissionnant, il aura réussi à générer un joli tas de rancoeurs et de confusions diverses.

Confusion d’abord chez ses ennemis préférés, les journalistes, pour une fois unanimes à lui attribuer une stature d’immense homme d’Etat. Les encensoirs ont ainsi claqué à toute volée dans les rédactions.

Pas évident pourtant, à l’heure des comptes, de percevoir les effets mirifiques de ce sens de l’Etat tant vanté chez le martignerain. Que retenir de son passage au ministère de l’Economie? Plus personne ne s’en souvient. Pas d’effort de mémoire en revanche pour énumérer ses ratages à l’Intérieur où il a échoué dans à peu près toutes les missions qu’il s’était lui-même fixées autour de l’assainissement des assurances sociales.

On a beaucoup glorifié aussi l’homme de grande culture, lecteur et cinéphage infatigable. Sa gestion du cinéma, via Nicolas Bideau, a surtout contribué à créer une sévère discorde dans le milieu et à prendre des orientations hautement contestables. Comme la vaine course au blockbuster, ou la pitoyable exigence de glamour.

Quant au grand lecteur, il s’est distingué à l’enterrement de Maurice Chappaz en se montrant incapable de citer correctement un des vers les plus célèbres de la littérature française, transformant, malgré un coup d’œil désespéré à ses fiches, le «petit Liré » de Du Bellay en «petit Tiré».

Faut-il alors deviner la marque de l’homme d’Etat dans cette morgue paysanne dont il ne s’est jamais départi? Cette paranoïa désuète héritée de la guerre froide qui lui faisait voir du «soviétisme » dans la moindre générosité sociale, et dans la plupart des journalistes des suppôts de l’internationale socialiste?

Cette obstination à persister dans des positions intenables, ce refus de reconnaître ses torts, cette incapacité à jamais faire marche arrière, ou au moins à savoir, de temps en temps, changer de fusil d’épaule? Un art dans lequel, a contrario, son fils spirituel Christophe Darbellay excelle, ce qui lui vaut, assez injustement, d’être qualifié de girouette. On peut quand même se demander, entre la pragmatique, la souple girouette, et le têtu buté, qui sert mieux l’Etat.

Confusion encore dans la course à la succession, autour du cas particulier d’Urs Schwaller, un des sérieux papable en cas de hold-up PDC. Ce bilingue fribourgeois, certes alémanique, peut-il succéder à un Romand? Il y a autant d’arguments pour que contre. Certains exigent «deux vrais latins au Conseil fédéral» — au nom de quel principe éternel? Comme si la latinité était en soi un gage de compétence, une sorte de mystérieuse qualité tombée du ciel.

D’autres, au contraire, font de l’hypocrisie légère en soutenant que «la cohésion nationale suppose de respecter les minorités, mais pas au détriment de l’efficacité gouvernementale». Autrement dit, il faut respecter les minorités, mais on peut très bien s’asseoir dessus sans dommage.

Malin comme trois singes, Schwaller lui-même se déclare membre de «la minorité linguistique du canton de Fribourg qui fait partie de la Suisse romande et que je représente à Berne.» Avant (voici les rancœurs) de se payer le président des radicaux Fulvio Pelli d’un tacle à hauteur de la carotide: coupable, le gentil Pelli, d’avoir avancé le critère de la latinité «pour des raisons partisanes et éventuellement personnelles».

Les radicaux en effet ne digèrent guère la volonté du petit cousin PDC de récupérer le siège perdu en 2003. En moins d’une semaine, le ton est déjà monté à des aigreurs inhabituelles entre bons copains de la droite dite bourgeoise. Un homme aussi poli que le conseiller d’Etat genevois François Longchamp par exemple n’hésite plus à se gausser cruellement des ambitions démo-chrétiennes: «Le PDC s’offre simplement quelques semaines de publicité».

Oui, le voilà, le bilan le moins contestable: même partant, même en ne faisant rien, Pascal Couchepin reste un remarquable semeur de zizanie.