LATITUDES

Le bébé avec garantie anti-cancer

Une petite fille dont on garantit qu’elle n’aura pas de cancer du sein a été conçue récemment en Angleterre. Ce cas en annonce d’autres. Gare aux parents qui n’auront pas pris toutes les précautions.

La question «comment fait-on des enfants?» devient de moins en moins triviale. Elle peut entraîner des réponses très diverses, le rapport sexuel n’étant plus, et de loin, l’unique moyen de concevoir des êtres humains.

La génétique, en donnant accès à la structure invisible du corps, suscite beaucoup d’espoirs: la prévention des maladies génétiques et des handicaps invalidants n’appartient plus aux fantasmes. Les aléas de la nature et du hasard laissent progressivement place à une tentative de maîtrise de l’homme actuel sur les hommes à venir.

Du coup, la situation de ceux qui veulent procréer se complique et s’alourdit avec l’hyper médicalisation possible de cet acte qui, de naturel, devient artificiel. Ainsi, après bien des réflexions, un couple anglais qui tient à rester anonyme a opté pour la conception d’un «designer baby» débarrassé de l’hérédité liée au cancer du sein.

Pour parvenir à garantir un risque zéro de souffrir un jour de cette maladie qui, depuis trois générations, s’abattait sur la famille du futur papa, le couple, bien que fertile, a recouru à une fécondation in vitro. Les médecins ont pu utiliser une technique de dépistage génétique de pré-implantation. Sur onze embryons, six étaient porteurs des gènes BRCA-1 ou BRCA-2 et ont été éliminés, deux «sains» ont été implantés et deux autres congelés pour un éventuel usage ultérieur.

«Je pense que c’était là quelque chose que je devais tenter», a expliqué la future maman. «Si notre fille devait avoir elle aussi un cancer du sein, je ne pourrais pas la regarder en face et dire je n’ai pas essayé.»

Le médecin du couple, Paul Serhal, directeur de l’Unité de procréation assistée de l’Hôpital universitaire de Londres, est très incitatif: «Les femmes ont maintenant la possibilité de recourir à ce traitement qui évite la culpabilité de transmettre à la génération suivante un gène anormal. C’est une chance d’éradiquer ce problème dans les familles.»

Aujourd’hui, on se focalise sur l’un des cancers les plus meurtriers. Demain, d’autres enfants garantis sans telle ou telle pathologie verront le jour. «Il est peu probable que le rapport sexuel fécondant puisse servir encore longtemps de référence normative efficace», lit-on dans le «Dictionnaire de la pensée médicale» (PUF), de Dominique Lecourt.

On sait la médecine préventive capable d’éviter bien des drames à la naissance, mais qu’en est-il des cas d’échec? Le corps médical est exposé à des actions en justice au motif de vie handicapée qui «ne vaut pas la peine d’être vécue».

En France, «l’affaire Perruche» a ouvert cette voie. Elle porte sur la notion de «préjudice d’être né». Nicolas Perruche est venu au monde avec des malformations dues à la rubéole non décelée de sa mère pendant la grossesse. Les parents ont attaqué l’équipe médicale en justice.

Avec l’arrivée de bébés garantis sans ceci ou cela leur vie durant, on imagine, en cas de promesse non tenue, non plus des parents qui s’en prennent aux médecins, mais des adultes qui s’en prennent à leurs parents de ne pas les avoir mis à l’abri de la maladie qui s’abat sur eux.

Le recours à l’ingénierie génétique ne soulève-t-il pas la perspective d’une nouvelle forme d’eugénisme et la possibilité de changer la nature humaine? Pour le philosophe Peter Sloterdijk, «l’opérabilité de l’homme sur lui-même définit précisément l’humanité de l’homme. Il est dans la nature de l’homme de construire sa nature». Dès lors, que voulons-nous devenir ou éviter d’être?

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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex de décembre 2008. En vente en kiosques.