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Maurer, Blocher, misère…

C’est un drôle de paroissien que l’UDC tente d’imposer au Conseil fédéral avec son ticket bidon. Si Maurer mange surtout des pommes, pour les autres, ce sera couleuvres au menu.

Un comptable fils de paysan au Conseil fédéral, pourquoi pas? Beau triomphe de la méritocratie. Petit problème, le méritant en question s’appelle Ueli, Ueli Maurer. Père de famille nombreuse, persuadé que la Suisse est dotée de la meilleure armée du monde et que la place des femmes est là où se tient modestement la sienne: au foyer.

En l’occurrence à Wernetshausen dans le rafraîchissant Oberland zurichois. Lui, en cas d’élection, prendra un petit appartement à Berne. On peut comprendre dès lors que sa femme soit plutôt contre cette idée de carrière fédérale, et ses six enfants plutôt pour.

Le peut-être futur chef du département de la défense estime par ailleurs que les armes de service, elles aussi, doivent rester à la maison. A son idée, la pétoire militaire au grenier ferait partie de notre identité profonde, comme le goût du cenovis ou l’amour du hornuss.

Que dire encore? La famille Maurer ne va jamais à l’église et les parents ne lisent pas de textes bibliques à leurs enfants. Ueli aime surtout manger de l’herbe et des pommes. A la moquerie lancinante qui le dépeint en laquais, valet, marionnette, clone ou simplement pâle carbone de Blocher, il rétorque sobrement que tous les deux sont «importants pour le parti». Elu, il essaiera certes d’intégrer la politique de l’UDC au Conseil fédéral, mais, promis juré, il ne sera pas moins collégial que les socialistes. C’est dire.

Sitôt le ticket Blocher-Maurer connu, l’affaire semblait pliée: un boulevard pour Maurer. Depuis, ça grince dans les états-majors. Seuls les radicaux le trouvent franchement OK. Et encore, pas tous. Le conseiller aux Etats Dick Marty par exemple résume bien le malaise: «Aux Etats-Unis, ils ont pu élire Barack Obama. Et nous, nous avons le choix entre Christoph Blocher et Ueli Maurer. Quelle misère».

Car l’assemblée fédérale a de plus en plus l’impression de se faire méchamment forcer la main, avec ce faux double ticket ne comportant volontairement qu’un seul candidat sérieusement éligible. Avec, aussi, la crainte d’une entourloupe sophistiquée, du genre Maurer qui se retire au deuxième tour, ne laissant en piste que Recordon et Blocher, duel improbable qui plongerait les chambres dans un drôle de pastis. «Ça, je ferais pas» a assuré un Blocher bien magnanime, mardi sur le plateau de «Classe politique».

Seuls les Verts pour l’heure sont sûrs ne pas vouloir de Maurer, qui fut tout de même ces douze dernières années le président d’une UDC à la ligne si virulente, aux campagnes coups de poings centrées sur l’étranger malfaisant. Les socialistes, eux, ne sont franchement pas chauds, mais n’arrivent pas à croire à un remake miraculeux du 12 décembre. Enfin, les démocrates-chrétiens, comme à l’ordinaire, n’en finissent plus de se tâter.

On reparle ainsi du groupe des treize, constitué après l’éviction de Blocher, réunissant des personnalités de tout bord opposées par principe à la présence de l’UDC au gouvernement et plaidant donc pour la petite concordance. A savoir un gouvernement où le centre et la gauche formeraient la principale composante, face à deux radicaux, plus Eveline Widmer Schlumpf. Mais de ce gouvernement centriste, le PDC, parti du centre, ne semble pas vouloir. Dilemme d’autant plus difficile à trancher qu’expérience faite, un Conseil fédéral sans UDC fonctionne à peine mieux qu’un Conseil fédéral avec.

L’UDC paraît en effet dotée d’une capacité de nuisance à peu près égale au pouvoir ou dans l’opposition. Ce qui serait plutôt un argument pour la laisser là où elle est. D’autant que samedi dernier, prenant pour prétexte largement mesquin un paquet mal ficelé, le parti de Blocher a dit définitivement non à la libre circulation. Gare donc, prochainement, aux belles affiches qui ne manqueront pas de fleurir, estampillées du sigle et du bon goût UDC, pour vanter les qualités multiples de nos amis bulgares et roumains.

On pourrait aussi se dire que la Suisse n’est pas suffisamment supérieure au reste du monde pour s’offrir le luxe de vivre sans opposition.