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Securitas et les trous noirs

Des espionnes de Nestlé aux errances du Conseil fédéral, ou comment attendre sereinement la fin du monde.

Dans un monde idéal, Securitas n’existerait pas. Ni les espionnes. Ni même les altermondialistes, qui ne serviraient, par définition, plus à rien.

Dans un monde idéal, le Conseil fédéral serait élu par le peuple et personne, même pas Peter Rothenbühler, ne passerait son temps à remettre en cause leur légitimité et leurs compétences ou à pleurer sans fin sur l’éviction de Blocher.

Quoique. Si c’est le seul critère de popularité, ou plutôt de peoplearité, qui devait être déterminant, on se retrouverait probablement avec un gouvernement incompatible, ingérable, bien plus bancal encore qu’aujourd’hui. Une cour d’école en folie où par exemple un Christophe D. devrait se coltiner au quotidien son ennemi le plus intime, Christoph B., et vice versa.

Non, dans un monde idéal, les Conseillers fédéraux seraient tellement aimés qu’ils n’auraient plus besoin d’être sanctionnés par le peuple, ni le parlement, et pourraient rester en poste jusqu’à ce que belle mort s’en suive. Sans qu’on ne vienne jamais leur chercher des poux sous la coupole. Impossible en effet de s’empêtrer dans l’affaire Nef ou de déraper sur Ben Laden, puisque ni Al-Qaida ni l’armée suisse n’existeraient.

Dans un monde idéal, ni la police vaudoise, ni Nestlé n’auraient d’adversaires si mal intentionnés qu’il faille leur mettre des mata-hari mal dégrossies dans les pattes.

La police vaudoise n’aurait jamais l’occasion de commettre la moindre bavure et le groupe «Anti-répression» né pour traquer les dérives policières, dépérirait d’inactivité. Nestlé aurait une réputation aussi immaculée que Mère Teresa, distribuant le lait en poudre comme Jésus les petits pains, et ne tarderait pas à se faire racheter par Attac.

Dans un monde idéal, les contes de fée diraient la vérité. Par exemple que les privatisations d’entreprises débouchent forcément sur une saine concurrence qui, elle-même, tout aussi miraculeusement, provoque des baisses de prix. Dans un monde idéal donc, la libéralisation du marché de l’électricité n’aurait pas eu comme conséquence immédiate une hausse des tarifs de 20%, assortie d’une explosion des salaires directoriaux.

Dans un monde idéal, le parti radical n’aurait pas besoin de s’essouffler derrière l’UDC et ne serait pas obligé de répliquer à l’initiative des blochériens sur le renvoi des criminels étrangers par un contreprojet du même tonneau. Avec cette idée brillante consistant à assortir la nouvelle loi sur les étrangers d’une liste «claire, rapide et précise» des délits passibles d’expulsion.

«Non, les radicaux ne courent pas derrière l’UDC», jure pourtant la conseillère d’Etat Jacqueline de Quattro. Dans un monde idéal, il serait impossible, sous peine d’être foudroyé sur place, d’affirmer le contraire de l’évidence.

Dans un monde idéal, Edipresse ne licencierait pas de journalistes pour la simple raison que l’empire Lamunière n’aurait jamais eu besoin d’en engager.

Le seul inconvénient finalement d’un monde idéal serait peut-être de nous priver de cette vague rêverie, de cet espoir inavouable: qu’un matin, à la frontière franco-suisse, la manipulation d’un accélérateur maousse de particules folles tourne mal. Dans un monde idéal, la peur de tout perdre serait proprement invivable.

Ce qui s’appelle l’avoir échappé belle.