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Les errances de l’armée light

Les cures d’amaigrissement annoncées par nos militaires ne confirment-elles pas la voie sans issue d’une défense solitaire dans un monde pluriel?

«Les fesses entre deux chaises» a-t-on pu lire ces jours à propos de nos valeureux militaires. Une position qui n’est peut-être pas la plus efficace pour ajuster l’ennemi, même s’il nous fait l’honneur d’être, au mieux, invisible, au pire hypothétique. Ecartelée, donc, la petite muette à croix blanche, et en son sein même, entre les deux camps d’irréductibles.

Il y a ceux, d’abord, qui la voudraient, cette armée, comme jadis et naguère, claquemurée dans son réduit national et concentrée toute sur la seule tâche d’une défense strictement militaire du territoire. La mob, toujours recommencée.

A l’opposé, coiffés du casque d’azur, voici les tenants d’une armada de swiss cow-boys prêt à voler à la rescousse, à prêter la main la plus forte possible, dans les endroits les plus incertains et les plus agités du globe. Une armée donc professionnalisée, collaborant avec ses voisines au nom d’une sécurité commune et du sacro saint droit international, une armée qui s’assoirait tranquillement sur le concept ranci de neutralité.

A force de ne pas choisir entre ces deux options, l’armée, nous dit-on, s’est mise en situation de n’être plus capable d’assumer ni l’une ni l’autre. Les militaires le reconnaissent eux-mêmes: rien ne va plus. A l’inverse des crédits militaires, les coûts de la guerre et de son entraînement, eux, ne baissent pas. Pire: nos galonnés peinent à faire fondre les effectifs, comme ils l’avaient pourtant promis et voulu.

Bref l’armée n’arrive plus vraiment à faire face et s’est donc fendue de toute une série de mesures supposées amaigrissantes: utilisation mesurée des armes sophistiquées et des véhicules, moins de munitions de gros calibre, moins d’entraînement en live, au profit d’un recours accru aux simulateurs. Pour une armée light de chez light et des soldats devenus imbattables à la console vidéo. En espérant très fort que l’ennemi invisible et hypothétique évoqué plus haut, soit assez bon pour ne pas lâchement en profiter.

Les militaires semblent même prêts à externaliser certaines tâches, comme la formation des conducteurs c’est-à-dire les confier à des privés. La question dès lors se pose: pourquoi faire les choses à moitié, au risque de nouveaux écartèlements et de plus cinglantes désillusions? Pourquoi ne pas aller au bout de la démarche? Pourquoi en un mot, et tant qu’on n’y est, ne pas privatiser l’armée?
Les perspectives ainsi ouverte seraient énormes — et on ne fait pas allusion ici, à la suppression du poste de ministre de la défense, à cette terrible question de la présence ou non d’un UDC bernois au Conseil fédéral.

Une armée privatisée créerait en effet de vrais jobs, payés ni en boîtes ni en monnaie de singes, des postes de travail qui ne seraient pas plombés par la préférence nationale et donc ouverts à tous. Par exemple aux jeunes, robustes et très désœuvrés requérants d’asile dont certains se targuent même d’une expérience du combat et de la guerre, acquise sur le terrain, loin des cafés internet.

Absurde? Evidemment. Au moins autant que ce à quoi joue et s’occupe l’armée depuis quelques années, avec des avions surdimensionnés qui tournent en rond et font fuir les touristes et assomment la population. Avec aussi des exercices sans rime ni raison qui débouchent sur des drames inutiles comme celui de la Jungfrau.

En l’état, existe-t-il vraiment d’autres moyens de retrouver un semblant de cohérence militaire qu’un radical changement de cap, qui verrait la Suisse prendre enfin la mesure du monde qui l’entoure? Autrement ne faudra-t-il pas un jour choisir entre la poursuite du règne des Ubu galonnés, des Alcazar et Tapioca EMG, et une adhésion à l’UE et l’Otan?