Démodées, les cartes postales? Une exposition, à Winterthur cet hiver avant Paris au printemps prochain, retrace leurs heures de gloire alors qu’un concept artistique les voit endosser une nouvelle mission: véhiculer des secrets.
On préfère recevoir une carte postale, mais on reçoit du courriel ou des SMS. En vacances, l’achat, l’écriture et l’envoi de cartes postales représentent autant de corvées. Pas étonnant dès lors que leur nombre ait chuté d’environ 75% au cours des dix dernières années.
Le musée de la photo de Winterthur présente jusqu’au 10 février 2008 une exposition passionnante retraçant l’histoire des cartes postales. Leur berceau? C’est l’Autriche. Le 1er octobre 1869, à Vienne, l’administration postale autrichienne adopte ce nouveau support de 10x15cm qui sera rapidement popularisé dans les pays alentour.
Il faut attendre 1889 pour voir les premières cartes illustrées. L’Exposition universelle qui se tient la même année à Paris permet le premier grand tirage: une carte de la Tour Eiffel gravée par Léon Charles Libonis, émise à 300’000 exemplaires. Deux ans plus tard, la première carte postale photographique est tirée à Marseille.
L’entrée dans le XXe siècle coïncide avec une véritable explosion de l’usage de la carte postale. En 1905, on estime à 7 milliards le nombre de cartes envoyées dans le monde. Pendant la première guerre mondiale, alors que des millions d’hommes sont éloignés de leurs familles, ces cartes sont le seul lien qui permet aux soldats de recevoir des nouvelles.
Il est amusant de constater qu’avant l’arrivée du langage SMS, c’est la règle des cinq mots maximum pour jouir du demi-tarif qui a stimulé l’imaginaire des rédacteurs de cartes postales.
Après l’usage du téléphone qui a vu décliner sensiblement l’envoi de ces morceaux de carton, la concurrence des médias numériques va-t-elle les condamner à disparaître? Pas forcément. Transformées en substituts de confessionnaux par un artiste américain, les cartes postales regagnent en popularité.
En novembre 2004, Frank Warren lançait un projet d’art communautaire. L’idée était simple: publier les secrets de chacun de façon anonyme par le biais de cartes postales «fabriquées maison». Rapidement, il recevait des milliers de cartes et de secrets. En 2005, il crée le site PostSecret. Chaque semaine, il opère une sélection d’une vingtaine de ces cartes qu’il met en ligne, sans commentaire. Le succès ne se fait pas attendre.
Le blog devient très rapidement l’un des plus consultés de la planète avec trois à quatre millions de visiteurs par mois. Il figure au cinquième rang du classement de Technorati.com (moteur de recherche spécialisé dans la blogosphère). Des vidéos, patchwork de secrets sur fond musical idoine, cartonnent sur YouTube. Enfin, la publication en librairie des «Confessions extraordinaires de vies ordinaires» (déjà quatre volumes publiés) vient compléter une réussite redevable à des cartes postales qui ne sont pas sans évoquer le «post art».
«Quand je hais mon mari, je mets mes crottes de nez dans la soupe», «Je suis la femme d’un pasteur et tout le monde ignore que je suis athée», «J’ai rêvé que j’étais allergique au maquillage et je le suis devenue», «Si je devais sauver une personne, ce serait mon chien», «Je préférerais être un idiot populaire plutôt qu’un génie solitaire»… Ces secrets, leurs détenteurs ne les avaient confiés à personne, mais sous ouvert d’anonymat, en les écrivant sur une carte postale, ils n’hésitent pas à les révéler au premier venu.
A l’heure où l’on va de moins en moins à confesse, la carte postale devient un moyen idéal de s’épancher, d’alléger sa conscience. Une version française de PostSecret vient d’être lancée.
Un secret, qui n’en a pas? «Dévoilez tout, pourvu que ce soit vrai et que vous ne l’ayez jamais partagé avec qui que ce soit», nous enjoint le nouveau site. «Fabriquez votre carte postale avec n’importe quelle matière pouvant être envoyée par la poste.»
La poste d’Aix-en-Provence (adresse du site) croulera-t-elle bientôt sous des avalanches de cartes postales? Je viens d’y expédier mon flocon de neige…
