De plus en plus de stations suisses couvrent les glaciers pour empêcher la fonte de leurs domaines skiables. S’attaquer aux conséquences et non aux causes du réchauffement climatique agace les mouvements verts.
Les glaciers du Gurschen (Andermatt), du Vorab (Flims), de Milibach (Lötschental), de la Längfluh (Saas Fee), de Tortin (Verbier) — et bientôt d’autres encore (Titlis, Corvatsch) — ont été recouverts par les bâches des sociétés de remontées mécaniques qui en exploitent les domaines skiables à proximité. Certaines réalisations s’apparentent à des installations artistiques. Ainsi celle d’Andermatt évoque une œuvre de Christo.
Leur objectif: offrir à leur clientèle un enneigement assuré indépendamment des conditions météo; elles font du «snow farming», le néologisme créé pour qualifier la gestion de la neige.
Le matériau utilisé pour le bâchage, le système Vlies produit par la firme Landold de Näfels, est constitué d’un textile non tissé, à deux couches. Il est perméable à l’eau et à l’air, a une faible capacité de réfléchissement et d’excellentes propriétés isolantes. La même fibre est utilisée dans la fabrication de pansements. Elle pèse 320 grammes au mètre carré et se vend par surface pouvant atteindre 100’000 mètres carrés. Les résultats obtenus seraient très réjouissants car permettant de réduire, voire d’empêcher, la fonte.
Selon l’article 664 du Code Civil suisse, les glaciers sont des biens du domaine public à usage commun ne pouvant qu’exceptionnellement appartenir au domaine privé. Dès lors, dans quelle mesure le recouvrement de pistes sur glaciers est-il soumis à autorisation et susceptible d’être autorisé? Aucune disposition légale spéciale n’existant, c’est la législation cantonale sur l’aménagement du territoire sur le construit et sur la protection de l’environnement qui s’applique actuellement.
Les organisations alpines et environnementales (fédérées au sein de la CIPRA Suisse) sont opposées au bâchage des glaciers, pour des raisons d’impacts environnementaux. Elles viennent de faire connaître leur position. Elles réclament des règles uniformes à l’échelle nationale en ce qui concerne la procédure de demande et d’octroi d’autorisations pour des recouvrements de glaciers. S’attaquer aux conséquences et non aux causes du réchauffement climatique agace les auteurs du rapport de la CIPRA.
Ces grands sparadraps sur les glaciers ne ressemblent-ils pas à des pansements sur une jambe de bois? Le débat est lancé et ne devrait laisser personne de glace…
Reste que la pratique ne date pas d’hier. Petit plongeon dans les bulles de l’album «Bécassine alpiniste», qui date de 1923. La Bretonne à la silhouette ronde, coiffe blanche et jupe verte est en vacances en Valais:
- «Superbe panorama… En face, les Alpes du Valais… Là-bas à droite, ce sommet neigeux, c’est le Mont Blanc… La France… Je me découvre.» Auguste retire sa casquette…
«Le mont Blanc aussi s’est découvert, ou plutôt on l’a découvert, on a retiré les toiles qui nous le cachaient ce matin.»

Persuadée que Monsieur Auguste, cet intellectuel client du même hôtel qu’elle, la tourne en bourrique, Bécassine lui rétorque «Voyons m’sieur Auguste, vous ne me ferez pas croire qu’on couvre avec des toiles une montagne telle que le Mont Blanc.»
«Innocente enfant! Qu’est-ce que marque ce thermomètre accroché au soleil? Quarante degrés. Bon. Vous n’ignorez pas que la neige fond» et Monsieur Auguste de donner une leçon de géographie à la jeune fille qui demeure bouche bée.
«Il reste de la neige, parce qu’à certaine heures, et parfois pendant plusieurs jours, des équipes d’ouvriers étendent dessus des toiles couleur de brouillard, couleur de nuage, qui empêchent de fondre».
Caumery et Pinchon, les auteurs de la BD, décrivaient donc avec quelques années d’avance une pratique en pleine extension aujourd’hui.
