Assurance Invalidité, Lötschberg, vote sur les étrangers, ou l’art un peu ridicule de s’arrêter net en si bon chemin.
On a assisté, ce dernier week-end, au triomphe varié et bruyant de la demi-mesure. A Neuchâtel, les étrangers pourront être éligibles mais attention, n’exagérons rien, au niveau communal seulement. Pour un mandat cantonal, il faudra repasser — 59% de non.
Les optimistes veulent y voir une «politique des petits pas», comme le conseiller d’Etat Bernard Soguel: «Nous ne sommes pas opposés à l’éligibilité sur le plan cantonal, mais il faut d’abord tester les nouveautés avant d’aller plus loin.»
Sauf que cette nouveauté n’est pas si nouvelle, comme le souligne Vitaliano Menghini, un des initiants, puisque «en 1848, la République neuchâteloise accordait ce droit à tous les communiers, qu’ils soient suisses ou non». A noter que le parti libéral s’était joint à l’UDC pour combattre les deux options.
Dans le Jura, ce même droit d’éligibilité communal a été refusé d’un souffle, alors que le droit de vote pour les étrangers au niveau communal et cantonal existe depuis la création du canton. Une autre forme donc de glorieuse demi-mesure: le droit de voter mais pas celui d’être élu. Le droit de participer au découpage du gâteau mais pas celui de d’y goûter.
Le parlement avait pourtant validé de façon massive — 51 voix contre 4 — cette possibilité pour les étrangers installés depuis dix ans de se faire élire à toutes les fonctions communales y compris celle de maire. Personne pourtant, aucun parti, n’a franchement osé faire campagne en faveur de cette éligibilité que contestait un référendum de l’UDC.
Cet amour de la mesure molle a contaminé de surcroît ceux-là même qu’elle dessert: les étrangers ont été très peu nombreux à se mobiliser et surtout à voter. Avec comme résultat, une fois de plus, la victoire de ce que le chrétien-social Jean-Paul Miserez appelle «le discours primaire et émotionnel du bistrot».
Demi-mesure encore, et très spectaculaire celle là: un tunnel grandiose, le troisième le plus long du monde, une merveille de technologie, ce Lötschberg inauguré en pompes et fanfares, la larme de l’autosatisfaction à l’œil et le torse bombé au moment des discours sur estrade.
Un tunnel pourtant réalisé qu’à moitié, puisqu’un seul des deux tubes est équipé, l’autre, devant se contenter, durant des années, d’un seul titre de gloire: avoir servi, vendredi dernier, de carnotzet géant et surchauffé pour l’apéritif des 1’200 invités officiels.
Un cas sans doute unique au monde, un sommet du ridicule, une pyramide sans sa pointe, une tour Eiffel dont la construction aurait été interrompue au deuxième étage. Un Lötschberg donc bancal et boiteux, saturé avant même sa mise en service, pour de froides raisons d’économie et de tièdes questions d’équilibre entre les régions, de compromis avec les partisans du Gothard unique. Au risque de perdre l’essentiel des bénéfices promis par une telle infrastructure.
Et que dire des tentatives de légiférer sur les chiens dangereux? Alors que chaque canton y va de sa loi particulière, de sa liste personnelle de molosses à bannir, deux projets fédéraux très différents viennent d’être mis en consultation: plutôt que s’attaquer aux chiens, le Conseil fédéral préfère se focaliser sur les victimes en renforçant le système d’indemnisation, tandis qu’une commission du Conseil national propose de classer les chiens en trois catégories, suivant leur dangerosité. Tandis qu’un vraie mesure aurait traité sans atermoiement les deux termes de l’équation: mordeurs et mordus.
Et puis l’AI, ah l’AI: la nette approbation de la cinquième révision en votation populaire s’explique en partie parce qu’il ne s’agit là encore que d’un chemin parcouru à moitié: s’attaquer aux abus, durcir les conditions d’octroi des rentes, mais en repoussant à plus tard la recherche d’un nouveau mode de financement (hausse de la TVA ou des cotisations salariales), seul capable d’assurer la pérennité de cette assurance.
Pascal Couchepin justifie cette avancée de trotte-menus en réveillant des échos de guerre froide: «Nous ne travaillons pas comme les Soviétiques sur la base de plans quinquennaux.» Comme s’il n’existait rien entre le Goulag et la pusillanimité.
Cette religion de la demi-mesure est si bien ancrée qu’elle se voit curieusement renforcée depuis que le moins mesuré des politiciens parade au gouvernement. Pas tellement étonnant si l’on en juge par cet énième coup d’encensoir, genre brosse à reluire et voix de son maître, que lance Oskar Freysinger à propos de Christoph Blocher, qualifié de «rocher inébranlable dans la mer démontée des opinions fluctuantes». Certes. Mais ce qui fluctue au moins ne stagne pas.