Comment expliquer que 69% des Bulgares et 89% des Tchèques aient boudé l’isoloir? Analyse d’une méfiance qui a de profondes racines historiques.
L’abstentionnisme dans les pays de l’Est. Voilà un comportement qui ne cesse de surprendre et qu’il est difficile de comprendre. «Comment ces gens ont-ils le toupet de snober des droits démocratiques qu’ils ont attendus si longtemps et qu’ils viennent de conquérir? C’est inadmissible», entends-je sans cesse les lendemains de scrutins.
La question en effet n’est pas banale. Rien que pour les trois votes organisés dimanche dernier, les chiffres parlent fort. En Serbie, où il s’agissait d’approuver une constitution maintenant le Kosovo dans le giron serbe, une majorité d’électeurs (53,5%) s’est certes déplacée pour soutenir le projet, mais après intervention de tout ce que le pays compte d’institutions politiques et religieuses. Le succès est là, mais d’extrême justesse.
En Bulgarie, futur membre de l’UE dès janvier prochain, le président sortant a battu son concurrent ultra raciste en raflant trois voix sur quatre, mais avec seulement 31% de participation.
En République tchèque enfin, 89% des électeurs ont boudé des élections sénatoriales cruciales. Depuis juin 2006, le pays est bloqué par un face à face sans précédent, droite et gauche étant à égalité et aucun politicien ne parvenant à former un gouvernement. La droite a gagné dimanche et devrait aller aux affaires. Mais un 11% de participation marque bien la méfiance viscérale des citoyens envers le système, plus que leur je m’enfoutisme.
Une méfiance qui a de profondes racines historiques. Il ne faut pas oublier que dans tous les pays anciennement soumis à Moscou, le vote obligatoire a été la règle pendant un demi-siècle. Or un demi-siècle, c’est très long. L’électeur récalcitrant était amené de force au bureau électoral pour approuver massivement des listes de candidats qui n’offraient rien d’autre que la face blême de prétendus défenseurs d’une dictature dont ils étaient à la fois les acteurs et les victimes.
Se distancier du jeu électoral ne signifie rien d’autre dans ces conditions que reprendre sa propre liberté, assumer sa propre destinée. Il ne s’agit pas d’un aquoibonisme résigné, mais d’un refus de recourir à des dés pipés tant que la démocratie reste purement formelle. Ou est du moins ressentie comme telle.
Si l’aquabonisme apparaît, c’est surtout dans le rejet de candidatures présentées comme antagonistes ou contradictoires, alors que les candidats sont en général issus du même creuset, l’ancienne police politique qui, à peu près partout, propulsa aux meilleurs postes les serviteurs appliqués de l’ancien régime.
Mais ce comportement ne peut, par définition, qu’être transitoire: la nouvelle génération occupe de plus en plus de place et les quadragénaires, vierges de toute accointance avec les ex, arrivent aux commandes.
Le clivage qui risque d’être le plus difficile à réduire est celui du développement inégal à l’intérieur de pays comme la Pologne ou la Hongrie, la Roumanie ou la Bulgarie. Quinze ans après l’irruption du néo-libéralisme, les populations urbaines ont (à part les vieux) connu une amélioration de leur standing.
On ne peut en dire autant des ruraux qui, la plupart du temps vivent en position de repli quasi autosuffisante, aux marges de la modernité. Dans ces pays, surtout dans les plus importants, la Pologne et la Roumanie, les risques de dérapages autoritaires sont énormes.
Dans ces conditions, l’aventurisme de l’actuelle direction polonaise, de même que la propension de la majorité gouvernementale roumaine à se tirer dans les pieds, sont inacceptables. Ces politiciens de seconde zone à l’ego démesuré sont des apprentis sorciers qui peuvent plonger leurs pays dans la violence. Souhaitons que l’UE retrouve un nouveau souffle suffisamment vite pour empêcher l’incendie de se propager.