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Votre SSR attend la becquée

Les médias d’Etat réclament une nouvelle augmentation de la taxe radio-TV. C’est l’idéologie politique qui tranchera, le citoyen récepteur restant, lui, bâillonné sur son canapé.

Au royaume des aveugles les borgnes sont sourds. Ce détournement de proverbe, dû semble-t-il à Bernard Haller, pourrait figurer comme en-tête à la demande d’augmentation de la redevance radio-TV que la SSR vient d’adresser au Conseil fédéral.

Pas seulement parce que parmi les raisons plus ou moins tortueuses avancées pour tendre une nouvelle fois la sébile face à un citoyen récepteur plus que captif figurent huit millions que la SSR aimerait consacrer chaque année à des mesures améliorant l’accès à ses programmes pour les aveugles et les malentendants.

Mais surtout que parce que la question du financement de «votre» télévision, comme on dirait vos oignons ou votre faute, votre très grande faute, semble déchaîner une surenchère de handicaps.

En réclamant 72 millions supplémentaires, soit 28 francs par tête de captif, le monopole SSR semble en effet quelque peu aveugle et sourd aux réalités de ce monde.

Qui se sent encore légitimé, à réclamer des sous sans se voir, ou s’entendre répliquer adaptation, invention, économie, anticipation, rigueur? Qui ose encore, yeux fermés et bouche grande ouverte, bailler béatement pour recevoir la becquée? A part la SSR?

Mais les éditeurs de la presse écrite n’ont peut-être pas le regard plus perçant en criant d’emblée à la concurrence déloyale et en estimant, comme Hanspeter Lebrument, président de Schweizer Presse, qu’une augmentation de la redevance Radio-TV «nuira gravement à la presse écrite en la défavorisant».

On peut avancer sans trop de risque qu’une presse écrite qui n’a plus que cet argument pour concurrencer la télévision est une presse qui a déjà baissé la plume, sauf pour signer son déclin.

Les télévisions et les radios privées, elles, qui vivotent souvent de bric, de ficelles et de broc, se marrent et ricanent devant la lourdeur et l’appétit du monstre pataud.

«Stratégie de la lamentation permanente», s’exclame ainsi le président de l’association des télés régionales Filippo Lombardi. Ce n’est peut-être pas très charitable mais cela fait du bien. Quant au spectateur, il est forcément, on l’a dit, cantonné dans un rôle de paraplégique n’ayant qu’un geste autorisé: remplir le bulletin de versement estampillé Billag.

Restent les borgnes. Ce sont eux qui devront décider de dire merde ou amen à la quête de la SSR. Ces décideurs sont aussi malheureusement les spectateurs les moins neutres, les plus intéressés à l’évolution de leur télévision et de leur radio puisqu’ils en sont aussi, au quotidien, les acteurs. On veut parler bien sûr des hommes politiques.

Toutes les raisons avancées par la SSR — le coût exponentiel des grands évènements sportifs, l’obligation de partager quelques miettes de la redevance avec les chaînes privées, le virage de la haute définition à ne pas rater –, la sphère politique ne les considère que d’un œil, celui du partisan.

Ainsi à gauche, on a déjà fait savoir que, oui, c’était très bien d’engraisser la télévision d’Etat sans moufter, et on trouve les raison invoquées «justifiées ».

La droite a dit exactement le contraire et rechigne d’avoir à combler une nouvelle fois l’estomac sans fond de la SSR. Le PDC juge ces prétentions «trop ambitieuses», et les radicaux «difficilement explicables». Quant à l’UDC elle joue son habituelle partition «café du commerce», en évoquant la charge douloureuse que ce passage envisagé de 450 à 480 francs annuels peut représenter pour les ménages les moins favorisés.

C’est donc à l’œil de l’idéologie que la SSR sera jugée: une télévision d’Etat vu de l’œil gauche ne peut être que forcément bonne, et vu de l’œil droit forcément suspecte.

Mais la SSR a prévenu: si elle ne touche pas son enveloppe, elle réduira ou l’offre ou le développement de ses chaînes. Zappette en main, les sourds et les malentendants que nous sommes un peu tous, en tremblent déjà dans leur fauteuil.