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Les belles histoires de l’oncle Fedpol

Alors que la police fédérale réclame des moyens de surveillance accrus, Samuel Schmid réarme à tour de bras, et Pascal Couchepin transforme le numéro AVS en carte d’identité. Après le traumatisme des fiches, Big Brother serait-il de retour?

Cela faisait longtemps, mais le voilà de retour: le péril jaune, pas moins. Et il n’est pas le seul. C’est le très sérieux Office fédéral de la police (Fedpol) qui l’affirme dans son rapport annuel.

Outre en effet «les Chinois de souche» qui commencent à faire parler d’eux en Suisse (trafic de migrants, escroqueries à la carte de crédit), il y a, bien sûr, les inévitables djihadistes qui ont élu la Confédération comme «base arrière et logistique de propagande» ou «terre de repli».

Ce n’est pas tout: il y aussi NAPO (Nationale ausserparlamentarische Opposition), oui, en personne, mouvement en train, paraît-il, de se réactiver avec sa petite centaine de membres skinhead pure crasse. Dans le même ordre d’idées, si l’on peut dire, le Parti des nationalistes suisses voit ses membres se multiplier comme la gale, puisqu’il compte désormais «six sections».

En face, pas plus rassurant, il y a les cousins d’extrême gauche. Mais là, bonne nouvelle, ils seraient en crise, c’est toujours l’oncle Fedpol qui l’affirme. Une crise décrite même comme existentielle: en gros, ces braves gens se demandent à quoi ils peuvent bien servir.

Enfin, si l’on considère le commerce du sexe comme une menace, on s’effarera d’apprendre qu’à Bâle-Ville par exemple, en 2005, il s’est ouvert un bordel toutes les deux semaines et que le chiffre d’affaires de la profession navigue sur une lancée exponentielle pour atteindre 3,2 milliards.

Face à tant de menaces, le chef de la Fedpol Jean-Luc Vez se réjouit des projets «de renforcement des moyens d’investigations» que concocte le département fédéral de justice et police (DFJP) et son chef Christoph Blocher, dans le cadre de la révision de la loi sur la sécurité. Entre autres mesures prévues, l’autorisation généralisée des écoutes téléphoniques, même en dehors du cadre strict d’une enquête judiciaire. Ou encore une base légale plus précise pour les informateurs et autres agents infiltrés.

La taupe devient une espèce protégée. Les couacs de l’affaire Covassi sont passés par là, du nom de ce jeune homme que les services secrets avaient tenté d’infiltrer chez le marchand de tapis idéologiques et de pierres volantes Hani Ramadam, et qui avait fini par tourner casaque. Sans parler ce baron de la poudre colombienne qui avait roulé dans la farine le procureur du Ministère public de la Confédération Valentin Roschacher en lui refilant, contre mansuétude, des tuyaux largement crevés.

Bref, cela dérape sec au petit royaume du renseignement suisse. Les accents alarmistes du rapport de la Fedpol semblent d’ailleurs surtout servir à justifier les visées de Christoph Blocher: remettre en cause la sévère protection de la sphère privée inscrite dans la loi actuelle sur la sécurité, issue du traumatisme de l’affaire des fiches.

Mais Grand Frère Christoph n’est pas le seul à ouvrir l’œil, à se dresser en rempart contre tous ces périls jaunes, verts, rouges, et bruns. Samuel Schmid, du fond de son bunker de la défense, vient en effet de présenter une «liste de commissions» longue comme une veillée d’armes. Des achats qui se montent à 1,5 milliards, soit le programme d’armement le plus coûteux depuis dix ans, pour un département pas loin de mériter à nouveau son surnom de ministère de la Dépense.

Il s’agira entre autres de lifter les Pumas et de doper les Léopards. Des hélicoptères donc et des chars contre le monde du crime organisé et divers. Avec cet argument pointu comme un obus: «La Suisse n’est pas encore au centre des menaces terroristes mais qui peut me dire jusqu’à quand?»

A part le service de presse de Ben Laden, on ne voit pas, effectivement.

Il existe enfin une tentative plus discrète, mais peut-être plus sournoise, de redonner un peu de vigueur et de joie de vivre à l’Etat policier: l’extension du numéro AVS, rallongé de deux chiffres, à toute une série de domaines qui pourraient le transformer en code fouineur.

Le célèbre numéro devrait en effet, dès 2008, «servir de base pour toutes les assurances sociales, les impôts ou encore la formation». Certes, pour l’instant, la carte grise du travailleur ne sera pas étendue au poursuites judiciaires, mais pour l’instant seulement, c’est-à-dire «tant qu’une base légale idoine fera défaut».

Auteur de cette brillante remise en fiches: Pascal Couchepin. Le Conseil national vient de donner son feu vert. Mais là seuls les «va-t-en-guerre contre le terrorisme» de l’UDC se sont opposés, au nom d’une protection des données soudain à nouveau sacro-sainte.

On voit bien pourquoi: traquer les triades chinoises ou les kamikazes mahométans en suivant leur numéro AVS à la trace pourrait s’avérer d’une efficacité relative. Bien pratique en revanche pour surveiller les membres du PNS, ou les fraudeurs fiscaux de la Gold Küste.