CULTURE

L’agence genevoise qui alimente Hollywood

Fondée il y a quinze ans, Propaganda est devenue leader mondial du placement de produits dans l’industrie audiovisuelle. Elle occupe aujourd’hui une centaine de personnes. Anders Granath, cofondateur, explique les clés de son succès.

Genève, rue Voltaire. Depuis ses locaux de l’ancien cinéma Strada, une agence s’implique discrètement dans la création des divertissements planétaires. C’est grâce à elle qu’une impressionnante Lamborghini partage actuellement l’affiche avec Tom Cruise dans «Mission Impossible III».

Si, au détour d’une scène de «Spiderman 3», on aperçoit des capsules de café Nespresso, c’est grâce à elle aussi. Et quand les enquêteurs de la série «Les Experts» exhibent un téléphone Nokia, c’est encore elle qui négocie l’accord publicitaire liant le fabricant finlandais à la société de production.

Cela fait exactement quinze ans que l’entrepreneur suédo-genevois Anders Granath et son associé suisse d’origine cubaine Ruben Igielko-Herrlich organisent les fiançailles de la pub et du cinéma. Ils analysent scène par scène les scénarios en tournage, et proposent aux grandes marques d’y placer leurs produits.

Leur agence, Propaganda, occupe aujourd’hui une centaine de personnes entre la centrale de Genève et sa dizaine de filiales, basées de Paris à Sydney en passant par Londres, Los Angeles, Hong Kong et Moscou. Interview.

Comment votre petite agence genevoise a-t-elle réussi à s’imposer dans l’industrie hollywoodienne?

Anders Granath: Les débuts ont été assez difficiles. Nous avons commencé dans une sorte de cave dans le quartier des Eaux Vives, en 1991. Je n’avais pas 30 ans. Auparavant, j’avais travaillé dans la logistique marketing, et Ruben, mon associé, dans la joaillerie, notamment pour Chopard. Il avait eu l’occasion de côtoyer le domaine du placement de produits.

Grâce à une connexion au sein de la MGM (Metro Goldwyn Meyer), il a reçu quelques scénarios, et c’est parti comme ça. Nous avons rapidement ouvert le bureau de Los Angeles, qui nous a donné une assise sur le marché cinématographique mondial.

Comment démarchez-vous vos clients?

Au début, nous sommes allés les chercher, un par un. Les premiers clients ont engendré d’autres contacts qui, à leur tour, sont venus à nous, et ainsi de suite. Mais certains secteurs sont conflictuels. Audi est un gros client et refuse de nous voir travailler avec Volkswagen ou avec tout autre constructeur. Pourtant Fiat aimerait travailler avec nous… Dans la mode, des marques comme Lacoste, Diesel et Valentino sont nos clients.

Actuellement, nous démarchons quatre groupes hôteliers dont Hilton et Accor. De grosses multinationales travaillent avec nous, comme Panasonic, Nestlé, Procter et Gamble, ou encore Carlsberg (visible dans «Spiderman»), Perrier ou Haribo, Chupa Chups…

Les producteurs vous transmettent les scénarios avant les tournages?

Oui. Propaganda travaille très en amont avec les scénaristes pour introduire les marques de ses clients au sein même des scripts, en prenant bien garde de ne pas les dénaturer. Nous nous adaptons toujours au film. Nous lisons et analysons 1000 à 2000 projets par an. Nous aidons la production, par exemple si elle a besoin de savoir comment se consommait tel produit à telle époque.

Comment les idées de placement vous viennent-elles?

Prenons par exemple le scénario du prochain film de Jackie Chan, qui sortira à la fin 2006. Il contient une scène où l’acteur doit aller acheter un bijou pour sa femme. C’est là que nous suggérons qu’il aille dans un magasin Bulgari de Hong Kong. Nous pouvons permettre à la production de tourner gratuitement dans la boutique Bulgari, nous nous arrangeons pour que la rue soit bloquée, etc. Toutes ces interventions sont négociables.

Nous organisons aussi des fêtes pour l’équipe de tournage, nous concevons des pages presse, sponsorisons des avant-première, réalisons des objets promotionnels (comme pour «Mission impossible 3»), des concepts sur le web, de la publicité sur le lieu de vente, etc. De même, nous pouvons participer à la nouvelle stratégie de communication d’une marque qui contribuera à sa renaissance, comme nous l’avons fait dans le cas de Lacoste (le polo porté par Will Smith dans le film «Hitch», ndlr).

Qui vous paie et combien?

Nous ne sommes jamais payés par les productions. Nous négocions avec elles pour obtenir de la visibilité pour les produits de nos clients, et ce sont eux qui nous rétribuent. Un placement de produit se négocie entre 50’000 et 300’000 dollars. Les retombées médiatiques sont importantes, car désormais, tout produit connaît plusieurs vies d’exploitation. D’abord au cinéma, puis à la télé, sur DVD ou sur le Net… et cela des milliers de fois.

Quel est l’avantage comparatif de Propaganda, sur un marché aussi globalisé?

Si nous sommes leaders, c’est grâce à une combinaison d’expérience et de structuration d’un business qui, au départ, était très approximatif. Nous avons introduit une vraie valeur marketing à ce métier. Nos bureaux à l’étranger contribuent à comprendre les besoins et les cultures de chacun, qu’il soit américain, européen ou asiatique.

Votre marché est-il très concurrentiel?

Nous n’avons pas de concurrents en Asie. Seulement quelques uns en Europe ou aux Etats-Unis, mais ils n’ont pas le même axe marketing que le nôtre. Ils s’engagent à représenter un film de A à Z, alors que nous, nous ciblons ce qui nous semble le plus intéressant sur un film.

On a l’impression que les spectateurs sont de moins en moins perméables à la publicité.

Effectivement. Depuis l’arrivée DVD, des téléphones portables et d’internet, les entreprises doivent s’adapter à un nouveau spectateur qui détient les pleins pouvoirs sur le programme.

Désormais actif, grâce à sa télécommande, le spectateur n’est plus la même cible publicitaire. C’est pourquoi nous introduisons subtilement des marques dans la réalisation d’un film. Certaines de ces marques deviennent des accessoires indispensable à la trame d’un scénario. On peut dire que seul le cinéma peut encore combattre le zapping et imposer en douceur des produits, des futures tendances…

Des exemples?

Les téléphones Nokia jouent un rôle essentiel dans le film «Matrix». Ils y ont été intégrés dès l’écriture du scénario. C’est le principe du «cool factor», qui constitue l’objectif ultime, en insufflant une vraie impulsion d’achat sur des gens évasifs, difficiles à toucher, par exemple, les 15-25 ans.

Il faut que les spectateurs perçoivent ce qui peut devenir cool, et nous devons veiller à ne pas trop forcer sur le message, de crainte de devenir ringard. Le but est de susciter une émotion, mais celle-ci ne doit ni agacer, ni être négative.