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Jörg Haider, la honte de l’Autriche

L’extrême droite a atteint 28% des voix aux élections législatives autrichiennes. Plus proche que jamais du gouvernement, le leader du FPÖ a deux chevaux de bataille: la lutte contre l’immigration et le verrouillage des frontières de l’Union Européenne.

Jean-Marie Le Pen est presque trop caricatural. A incarner l’hydre fasciste sans dissimulation, il courait le risque de lasser. Et il lasse, à en juger par la baisse spectaculaire du score de l’extrême droite française à l’occasion des élections européennes. Jörg Haider, champion autrichien du national-populisme, est beaucoup plus dangereux que Le Pen, parce qu’il avance masqué. Masqué derrière des formules trop policées pour être honnêtes. Masqué derrière sa belle gueule toujours bronzée, ses fringues branchées quand il est à Vienne et ses culottes de peau tyroliennes quand il veut convaincre les électeurs de province.

On aurait pourtant tort de croire que la stupéfiante progression de l’extrême droite autrichienne n’est que la résurgence d’un mal enfoui. Petit morceau de ce qui fut autrefois une puissance multinationale, l’Autriche n’aspire plus, depuis longtemps, à la restauration de sa grandeur début de siècle. A l’époque, Vienne, noyau administratif d’un gigantesque empire, régnait sur plusieurs dizaines de millions de citoyens tchèques, polonais, slovaques, slovènes et hongrois. A l’approche du troisième millénaire, ces populations se préparent à effectuer leur grand retour dans l’Europe, via leur adhésion prochaine à l’Union Européenne. C’est précisément de cette Europe-là que le FPÖ ne veut pas. Durant sa campagne électorale, le parti d’extrême droite autrichien a lourdement insisté sur sa farouche opposition à l’élargissement à l’Est de l’Union.

Au lieu de considérer ces pays voisins comme des partenaires avec lesquels l’Autriche pourrait éventuellement s’allier pour rayonner sur la Mitteleuropa, Haider voit en eux des réservoirs de main d’œuvre à bon marché et de travail au noir, coupables par anticipation de vouloir «appauvrir les Autrichiens».

Septième pays le plus riche du monde par habitant, l’Autriche développe aujourd’hui un populisme alpin d’un genre nouveau. Après l’exode des vallées et l’appauvrissement consécutif à l’industrialisation, les Alpes ont retrouvé l’aisance matérielle grâce au tourisme et aux entreprises high-tech. Mais l’arc alpin ne veut plus partager avec les autres peuples, qu’ils soient étrangers ou qu’ils représentent le pouvoir central. Le phénomène ne s’arrête pas à l’Autriche: en France, les indépendantistes savoyards n’ont pas le même lexique, mais ils disent la même chose: trop d’impôts, trop de centralisme, trop d’étrangers. En Italie du Nord, la Lega ne veut plus payer pour les «paresseux» du Mezzogiorno. En Suisse, Christoph Blocher appartient à la même mouvance.

Cette extrême-droite post-moderne, nourrie du rejet de l’idée paneuropéenne par une frange de plus en plus importante des populations, réalise désormais son meilleur score dans le pays qui a vu naître Adolf Hitler. Il est bien sûr encore un peu tôt pour titrer «Un Führer à la Hofburg», mais en ce dimanche 3 octobre 1999, le FPÖ est devenu le deuxième parti d’Autriche, derrière les socialistes et devant les conservateurs. Le sportif aux canines hypertrophiées qui le dirige a dit, en 1995, que la Waffen-SS était «une partie de l’armée allemande à laquelle il faut rendre honneur». La même année, au Parlement de Vienne, il transformait les camps de concentration nazis en «camps punitifs». Cet homme-là est la honte de l’Europe. Il faut désormais inventer un nouveau langage politique, moins pour le contredire que pour alerter ses électeurs.