LATITUDES

Le retour illégal du gaz hilarant

Malgré ses effets toxiques, ce gaz anesthésiant est encore utilisé dans de nombreux cabinets dentaires, et également dans les soirées en club. On dit qu’il pénètre votre crâne comme les flashes d’un stroboscope.

Lors de la Street Parade 2004, deux personnes étaient arrêtées par la police de Zurich pour avoir vendu des ballons gonflés au gaz hilarant. Une substance, le protoxyde d’azote (N20), destinée à être inhalée par leurs clients.

Dans un jugement rendu en juillet 2005, la justice renonçait à condamner les prévenus au nom de la Loi sur les produits thérapeutiques. Mais, face à l’utilisation récréative de plus en plus fréquente de ce gaz, le juge appelait le législateur à examiner la possibilité de le considérer comme un stupéfiant.

C’est ce qui s’est passé. La cour suprême zurichoise vient en effet de casser le premier jugement. Dans un arrêt rendu en décembre 2005, elle assimile le gaz hilarant à une drogue. Une décision qui pourrait bien faire boule de neige dans d’autres cantons où le N20 est aussi en vogue dans les soirées branchées.

Un site spécialisé décrit ses effets: «Une aspiration de ce gaz vous donnera une sensation étrange. Effet très court, bien assuré, pas de tête dans l’fion le lendemain, et une drôlerie rarement atteinte. La musique semble s’éloigner de part et d’autre de votre tête (…) Elle pénétrera votre crâne comme les flashes d’un stroboscope. Tous vos sens se métallisent et c’est ainsi que vous aurez l’occasion de visiter la matrice.»

Pour atteindre cette «drôlerie», le matériel nécessaire se limite à un ballon gonflable avec une bouteille pour crème fouettée Kisag et une cartouche de recharge. Ce système destiné à la pâtisserie contient en effet du protoxyde d’azote.

Mais on trouve aussi le gaz hilarant sous la forme de propulseur d’air pour nettoyer les petites pièces mécaniques (chez les garagistes, les horlogers, les photographes) et dans le gaz dépoussiérant pour les ordinateurs…

Le protoxyde d’azote a été découvert en 1772 par le scientifique anglais Priestley. Passant très rapidement dans le sang par les alvéoles pulmonaires, le gaz hilarant produit ses effets au bout de quelques secondes: détente, euphorie, modification de la perception. Des effets qui s’estompent très rapidement, non sans laisser quelques séquelles lors d’usages fréquents.

Ce gaz allait commencer par devenir une attraction foraine. Des volontaires en respiraient et le public s’amusait ensuite de leur «ébriété». Il fut appelé «gaz hilarant» à cause des rires provoqués dans l’assistance.

En 1844, un dentiste nommé Wells, qui assistait à l’une de ces représentations, remarqua qu’un de ses amis qui s’était porté volontaire pour respirer le gaz ne ressentait aucune douleur alors qu’il s’était blessé. La première narcose au gaz hilarant eut lieu le lendemain pour une extraction dentaire. Dès 1910, la même substance a été largement utilisée en salle opératoire et en obstétrique.

Alors que d’autres anesthésiques tels que l’éther, le chloroforme ou le cyclopropane ont été abandonnées, le gaz hilarant a subsisté. Aujourd’hui, il semble même connaître un retour en grâce, non seulement dans les soirées, mais aussi dans de nombreux cabinets dentaires qui se prévalent d’en faire usage, malgré les nombreuses critiques des milieux médicaux.

Selon l’article «Gaz hilarant au XXIe siècle. Il n’y a définitivement plus de quoi rire», publié dans la revue Forum Med Suisse, le gaz hilarant peut en effet causer des troubles dégénératifs de la moelle épinière.

Stephan Strebel, auteur de l’article, mentionne également «un effet toxique direct du gaz hilarant sur les structures neuronales» et rappelle qu’une exposition chronique à ce gaz peut augmenter la fréquence des avortements spontanés et provoquer une diminution de la fertilité.

Selon l’auteur, l’usage du gaz hilarant en narcose ne se justifie plus. D’autant que de nouveaux anesthésiques sous forme gazeuse présentent une bonne alternative, sans effet toxique. Mais il n’est pas sûr qu’ils aient autant de succès sur les pistes de danse…

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