LATITUDES

La revanche de l’agenda en papier

Avec le développement des appareils numériques portables, on aurait pu penser que les agendas en papier allaient disparaître. Au contraire: ils se multiplient et se diversifient à grande vitesse. Phénomène et hypothèse.

Une nouvelle année commence, et chacun remplace son agenda 2005 par celui de 2006. Les adeptes du numérique n’y voient aucune différence: c’est le même appareil qui va continuer à mémoriser leurs rendez-vous au cours des prochains mois. Ceux qui sont restés fidèles au papier, en revanche, inaugurent en ce moment un nouveau cahier, qu’ils ont pu choisir parmi des dizaines, voire des centaines de modèles.

Le nombre de modèles différents augmente d’ailleurs chaque année. Avec le développement de l’électronique (assistants numériques, fonction calendrier dans l’ordinateur ou le mobile), on aurait pu penser que les vieux agendas en papier allaient disparaître. Au contraire: ils se multiplient. Et ils ne se contentent plus de réunir des cases vides pour chaque jour, semaine et mois de l’année: ils présentent aussi toute une imagerie qui permet à leur propriétaire d’afficher ses préférences et ses goûts personnels.

Chacun y aura trouvé le sien. Les modes d’identification vont de la religion aux animaux préférés en passant par le sexe, le monde de l’art, des lettres ou du sport.

Les agendas sont partout. On ne les achètent plus seulement à la papèterie ou au supermarché: ils sont désormais vendus en boutique et en librairie également, comme s’ils avaient autant de sens et de personnalité qu’un habit ou un roman.

Voici un petit aperçu (authentique!) des titres que j’ai découverts sur les rayons cette année: l’agenda chrétien, du bonheur, l’agenda du calme, l’agenda de la réussite en 2006, l’agenda des anges, l’agenda du ciel, l’agenda utile, l’agenda des paresseuses, l’agenda avec le Dalaï-Lama, l’agenda «s’aimer un jour à la fois», l’agenda impressionniste, l’agenda du chocolat, l’agenda de l’apprenti écrivain, l’agenda de Julie, l’agenda de Sophie, l’agenda des fashionista, l’agenda des femmes, l’agenda de Madame, l’agenda de Monsieur, l’agenda de Johnny Hallyday, l’agenda «vivez avec la lune», l’agenda du développement durable, l’agenda des points de croix…

Ceux dédiés aux chats semblent l’emporter largement devant les chiens et les fleurs. Totalement absents il y a un an, les agendas sudoku sont bien présents aussi.

Les classiques qu’étaient jusqu’ici Quo Vadis et Filofax et son «Temps maîtrisé» n’ont qu’à bien se tenir!

Côté linguistique, le mot «agenda» (du latin «agenda», choses à faire) apparaît dès le XVIe siècle et vient progressivement supplanter «memento» (du latin «souviens-toi», plus ancien encore) et «aide-mémoire». Depuis 1994, les dictionnaires français ont introduit «organiseur», calque de l’anglais «organizer».

Quant à l’objet lui-même, il est moins vieux que l’on ne l’imagine. Son invention est revendiquée par plusieurs fabricants. L’un d’eux prétend que l’agenda aurait été inventé en 1921 par un soldat de l’armée britannique, le Colonel Disney. Pour relever ses calculs d’artilleur, il bricola un petit classeur avec des anneaux mobiles, y plaça les pages d’un calendrier (jour) et son carnet d’adresses. Pour que l’objet tienne dans la poche d’une vareuse de soldat, il en fixa le format à 17 centimètres de hauteur.

Une société basée à Londres fut créée pour commercialiser par correspondance ce système de classement. En 1930, la marque Filofax fut enregistrée, nom reprenant la description initiale de ce système «file of facts». Ses premiers clients ont été les militaires et le clergé. Aujourd’hui encore, les dimensions du carnet sont demeurées inchangées.

La paternité de l’agenda est revendiquée de l’autre côté de la Manche également! Un Français, le Docteur Beltrami, un médecin marseillais, serait le père de l’agenda. Désireux de visualiser l’ensemble hebdomadaire de ses rendez-vous, il mit au point une grille d’emploi du temps d’une semaine répartie sur deux pages. En 1954, il devint fabricant d’agendas en donnant naissance à la marque Quo Vadis.

A la fin du XXe siècle, l’arrivée du Palm et de ses multiples variantes vient bousculer les vieilles habitudes. L’accessoire indispensable pour «assurer» en termes de statut social a passé alors du papier à l’électronique. Baptisés PDA (personal digital assistants), ces nouveaux agendas prétendent gérer les multiples facettes de nos vies.

Des vies de plus en plus «surbookées». Serait-ce pour prendre une revanche envers ces existences surmenées que l’on délaisse les agendas électroniques (si efficaces) pour continuer à utiliser un bon vieil agenda en papier, plus chaud et plus intime? Une sorte de réappropriation du temps?