Et si le fait de choisir l’heure de sa mort était un hymne à la vie? L’excellent livre de Noëlle Châtelet pose cette question provocante.
«Ce sera donc le 17 octobre.» C’est ainsi que Mireille Jospin, la mère de Lionel, annonça sa mort prochaine à ses enfants. Le compte à rebours avait commencé.
Pourquoi une sage-femme a-t-elle souhaité se donner la mort à 92 ans? Son explication est très simple: le désir d’en finir avant que le corps ne soit par trop déglingué et n’empêche le passage à l’acte. Elle ne voulait plus que son corps fourbu, moulu, rompu, peine davantage encore.
Est-il incompréhensible et répréhensible de s’octroyer le droit de mourir dans la dignité parce que l’on s’est bien battu contre le temps, contre soi-même, jusqu’aux limites de son propre vouloir? Ne faut-il pas aimer très fort la vie, pour préférer la mort? Et si le choix de la mort était un hymne à la vie?
Noëlle Châtelet, une des filles de l’extravagante vieille dame — et donc sœur de Lionel Jospin –, raconte dans «La Dernière Leçon», aux éditions du Seuil, comment elle s’est remise du malaise créé par cette petite phrase guillotine. Pour cela, il a fallu qu’elle retourne à l’école. Pas n’importe quelle école, l’école de la mort.
Sans cette mère stoïcienne, jamais Noëlle Châtelet n’y serait allée: «Je ne voulais pas apprendre, pas savoir». Contre son gré d’abord, avec son accord ensuite, elle s’est familiarisée, puis elle est parvenue à apprivoiser cette mort volontaire. Sa chronique jamais morbide d’une mort annoncée est en fait une merveilleuse leçon de vie.
A quelques jours de sa fin programmée, toujours militante, Mireille Jospin confie à sa fille: «Tu verras, un jour nous l’aurons, ce droit à la mort digne. Tu verras, cette bataille nous la gagnerons aussi.»
Mais qu’est-ce qu’une mort digne?
Aujourd’hui, ce n’est plus le village qui entoure le mourant connu de tous, ni même la famille, souvent trop éloignée géographiquement. Pour pallier ce vide, l’accompagnement aux personnes en fin de vie a pris la relève.
Exemple, Jeannine, qui se porte comme un charme depuis qu’elle a suivi une formation spécifique et passe une ou deux nuits par semaine au chevet d’un mourant. «Vous ne pouvez imaginer ce que cela m’apporte», constate-t-elle. Et les principaux intéressés, comment vivent-ils cette ultime prise en charge?
Le professeur Stéphane Velut, auteur de «L’illusoire perfection du soin» (éditions L’Harmattan), pose de manière très provocatrice la question de la fin médicalisée de la vie. Selon lui, aujourd’hui, la mort ne saurait plus être vécue intimement. On l’encadre plus qu’on ne l’entoure. Elle est devenue une sphère de travail où l’efficience doit voiler l’impuissance du corps médical à saisir un être qu’il n’aura connu qu’à l’approche de son agonie.
«Une sphère où écoute et soutien sont pensés, devenus reproductibles. Rien du langage entourant l’agonie n’a plus tendance à la simplicité, au sommaire, encore moins au silence. Ainsi, c’est autant l’acteur qui se rassure. C’est autant pour pallier justement sa propre impuissance, pour adoucir l’image de sa propre mortalité — celle que lui projette l’être agonisant — que l’acteur l’investit d’une stratégie d’actions reproductibles», estime Stàphane Velut.
De telles mesures d’accompagnement dépossèdent-elles autrui de sa mort? Pro Senectute et son document «Le respect de l’autonomie de la personne» prend une orientation diamétralement opposée. Les «Directives anticipées» — qu’il nous incite à prendre pour s’assurer du respect de notre volonté pour tout ce qui concerne notre mort — visent, au contraire, à une plus grande responsabilisation.
Derrida qui vient de mourir, rappelait dans une interview récente, qu’«apprendre à vivre, cela devrait signifier apprendre à mourir, à prendre en compte, pour l’accepter, notre finitude».
Une injonction que l’on doit à Platon — «Apprendre à vivre pour apprendre à mourir» — et au sujet de laquelle le philosophe français avouait: «Je crois à cette vérité sans m’y rendre. Je n’ai pas appris à l’accepter, la mort.»