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Le retour de la dictature

Dans le sillage du drame de Beslan, Vladimir Poutine a annoncé un train de mesures visant à recentraliser la mosaïque distendue de l’immense Fédération russe.

L’Europe orientale — Russie, Ukraine, Biélorussie — est en crise. Ce n’est pas un scoop, mais le fait est que la frontière entre l’Union européenne et ces pays devient de plus en plus importante. Pour des raisons de déficits démocratiques.

Dans le sillage du drame de Beslan, Vladimir Poutine a annoncé un train de mesures visant à recentraliser la mosaïque distendue de l’immense Fédération russe et de ses 89 membres que Moscou, dans un langage dépourvu de toute fioriture, appelle des sujets.

Chez nous, sous l’Ancien Régime, les pays sujets (Vaud, Bas-Valais et autres) étaient des pays dépourvus de tous droits politiques et gouvernés par des baillis. Eltsine avait accordé aux sujets le droit d’élire plus ou moins librement leurs baillis. Poutine n’est plus d’accord: même la fiction d’une élection pseudo-démocratique le gêne. Dans la droite ligne d’un héritage qui remonte aux tsars en passant par les secrétaires généraux du PCUS, il pense qu’il n’y a pas d’espace en Russie pour la démocratie locale. Le pouvoir est pyramidal et c’est du haut de la pyramide que doivent venir les décisions.

Il est évident qu’au-delà de cette reprise en main musclée, le président russe est en train de paver la route à une réforme constitutionnelle qui, d’une manière ou d’une autre, devra lui permettre de rester au pouvoir après la fin de son second mandat en 2008. Nous sommes en train d’assister – sous les regards fort peu effarouché des capitales occidentales – à la restauration du pouvoir personnel en Russie. A la restauration de la dictature, puisqu’il faut bien appeler un chat un chat, quelle que soit la forme qu’elle prendra (totalitaire, pinochétiste, à la chinoise…).

Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Ukraine pour comprendre la démarche de Poutine. Ce grand pays (600’000 km2, 50 millions d’habitants) est géré depuis son accession à l’indépendance par un pouvoir communisto-mafieux qui ne craint pas d’éliminer ses adversaires par le couteau, le poison ou l’accident de voiture. Pour n’avoir pas su (pu?) changer la constitution, le président sortant, Léonid Koutchma, s’apprête à quitter le devant de la scène après une gestion calamiteuse des affaires publiques (pas des siennes!) pendant huit ans. Pour sa succession, il fait confiance à son actuel premier ministre, Victor Ianoukovitch, une personnalité qui n’a pas la cote et pourrait être battue à la présidentielle du 31 octobre prochain par le principal opposant, Viktor Youshchenko.

Mais il y a à cela une condition: que l’opposant arrive indemne au dimanche électoral. Pour le moment, il a été victime de deux tentatives d’assassinat. Un curieux accident de voiture début août et un empoisonnement il y a une quinzaine de jours.

En Biélorussie (200’000 km2, 10 millions d’habitants), le président Loukachenko ne connaît pas les pudeurs de Koutchma. Il vient de profiter de la campagne électorale en vue des législatives du 17 octobre prochain pour doubler la consultation d’un référendum lui permettant de lever la clause constitutionnelle des deux mandats présidentiels. Comme, l’opposition protestait, il a simplement accentué la répression, la répression la plus sauvage actuellement en cours sur le continent européen. Ainsi le 40% des candidats de l’opposition au parlement a été biffé des listes. Pour bien gérer le pouvoir, il vaut mieux selon le dictateur de Minsk, rester entre amis.

Il convient, pour bien saisir la profondeur du fossé qui nous sépare de plus en plus de l’Europe orientale, de souligner que si les partis d’opposition ont la vie très dure tant en Russie qu’en Ukraine et en Biélorussie, la presse subit elle un joug encore pire. Seuls les grands organes centraux contrôlés par les potentats ont une audience nationale. Et l’on a vu, pendant la crise de Beslan, que Poutine aussi ne craignait pas de recourir à l’empoisonnement (Anna Politkovskaia dans son avion) pour empêcher l’information de passer. La liberté de la presse reste un luxe occidental.

Curieusement, cette presse occidentale donne peu de résonance à ces événements qui sont pourtant appeler à avoir une influence beaucoup plus grande sur l’Europe démocratique que l’adhésion de la Turquie. Le renforcement à long terme de dictatures sur la frontière orientale de l’UE va forcément peser sur le développement des Etats frontaliers (Pologne, Tchéquie, Roumanie, Etats baltes…) qui ne sont déjà pas des modèles de stabilité institutionnelle. Cela va permettre à d’importants courant d’opinion publique marqués par le chauvinisme et le nationalisme de se développer et de bloquer les mouvements réformistes. A moins qu’ils ne permettent tout simplement aux hommes en place de s’enrichir pendant que le bon peuple regarde ailleurs.