LATITUDES

L’éphèbe, une revendication féministe

L’incorrigible Germaine Greer, 64 ans, explore dans son dernier livre des images de beaux adolescents mâles. Son combat féministe entre dans une nouvelle phase.

Les féministes seraient-elles devenues des «Chiennes d’arrière-garde», comme le suggère le film éponyme de Sophie Jeaneau? Arte posera la question dans son émission «Où sont passées les féministes?» annoncé pour le mardi 9 décembre à 20h45. Cette programmation a déclenché une grosse colère chez certaines militantes françaises, qui ont exigé une mise sous séquestre du film. Leur demande a été jugée irrecevable, mais la décision de le diffuser dépendra du jugement sur le fond, qui sera connue aujourd’hui lundi.

Alors qu’en France les anciennes figures du Mouvement de libération des femmes se sont essoufflées, leurs sœurs anglo-saxonnes sont encore en mesure de briser des tabous. Ainsi Germaine Greer et Doris Lessing, dont les derniers ouvrages suscitent de vives polémiques. Ces deux dames ont-elles conservé intacte leur virulence où sont-elles devenues perverses avec l’âge?

A 64 ans, Germaine Greer, l’auteur de «La femme eunuque», confesse qu’elle aime regarder les images de ravissants jeunes garçons. Elle vient de publier «Les garçons, figures de l’éphèbe» (éditions Hazan), un livre destiné à satisfaire les revendications féminines au plaisir des yeux. Pourquoi le corps féminin serait-il vu comme seul objet de désir?

Germaine Greer tente de démontrer qu’à toutes les périodes de l’histoire de l’art, la charge érotique véhiculée par l’image de l’adolescent fut réprimée par les hommes et les femmes confondus. S’appuyant sur plus de deux cents images puisées dans l’histoire de l’art occidental, elle restitue les tribulations du bel adolescent dans la peinture, la sculpture, le dessin et la photographie: martyr nu, génie ailé, séducteur, soldat vierge, mais aussi des références plus récentes, Nijinsky, James Dean, Jimi Hendrix ou Kurt Cobain.

Des artistes comme Michel-Ange, Caravage, Van Dyck, Nan Goldin, Sally Mann et bien d’autres, illustrent sa thèse.

En explorant l’icône du bel adolescent, Germaine Greer entend démolir ce qu’elle estime être l’un de nos derniers tabous. Première phrase de son ouvrage:«Ceci est un livre sur la beauté mâle. Certains pensent que l’expression «beauté mâle» relève de l’oxymore, voire de la perversité.» Dans la langue anglaise, il est incorrect d’employer le mot «beautiful» pour un homme.

Les mâles de belle allure sont «handsome», et non «beautiful», un vocable qui renvoie pas tant à une qualité esthétique qu’à une qualité morale. L’auteur voit dans cette substitution la traduction linguistique du sentiment implicite qu’il est inconvenant d’apprécier les hommes pour leur seule allure. Le mouvement qu’elle a initié y a d’ailleurs peut-être contribué .

«Les campagnes féministes stigmatisant le comportement phallocratique traditionnel qui n’apprécie les femmes qu’en fonction de leur beauté a rendu plus difficile encore le fait de reconnaître que les hommes peuvent être beaux et que certains sont même bouleversants de beauté», avoue-t-elle. Pour elle, la période de beauté d’un homme se situe dans sa prime jeunesse, «lorsque ses joues sont encore lisses, son corps sans poils, sa tête chevelue, ses yeux clairs, son allure farouche et son ventre plat.»

L’histoire a retenu quelques rares exemples de femmes réceptives aux charmes des jeunes garçons. Ainsi, dans la Bible, Putiphar, séduite par la beauté du jeune Joseph âgé de dix-sept ans. Christine de Suède qui, lorsqu’elle s’installe au palais Farnèse, à Rome, insista pour que les feuilles de vigne fussent retirées des statues représentant de jeunes mâles. Catherine II de Russie auraient orné ses boudoirs de peintures qui, accordant une large place aux jeunes gens, présentaient un caractère quasi pornographique.

A quelques exceptions près, jusqu’ici, seuls les homosexuels et un certain nombre d’artistes ont su échapper à la «cécité à la beauté mâle» stigmatisée par Germaine Greer (curieusement, son livre figure d’ailleurs dans la sélection d’ouvrages gays et lesbiens de la Fnac!). La femme doit prendre un plaisir narcissique à répondre aux fantasmes masculins plutôt que d’explorer et d’extérioriser les siens. Qui plus est, depuis la fin du vingtième siècle, notre société, tenaillée par la culpabilité au sujet de la pédophilie, a, selon Greer, «achevé de criminaliser le charme des adolescents». Aujourd’hui, déplore-t-elle, les garçons ne sont considérés comme attrayants que pour des goûts pervertis.

A 84 ans, Doris Lessing frappe elle aussi un grand coup en osant aborder dans un recueil de nouvelles intitulé «Grandmothers» la passion sexuelle de deux amies d’âge mûr pour leurs fils respectifs. Non, vieillir n’est pas une maladie et la capacité à tomber amoureuse ne diminue pas avec l’âge.

Il y a dix ans, Betty Friedan, une autre figure emblématique du féminisme, le proclamait déjà bien fort dans «La révolte du 3e âge. Pour en finir avec le tabou de la vieillesse» (Albin Michel). Doris Lessing revient à la charge et fait scandale.