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Réponse à ceux qui prétendent que la guerre du Kosovo a été gagnée par les diplomates

Le professeur zurichois Albert A. Stahel, expert en stratégie, a affirmé que le talent diplomatique des Occidentaux avait transformé un défaite militaire en victoire. Gérard Delaloye réagit.

On peut être expert en stratégie, on peut se croire et se faire photographier droit dans ses bottes, mais être à côté de ses pompes.

Le professeur zurichois Albert A. Stahel, dont les facétieuses analyses militaires ont souvent déridé les lecteurs du quotidien «Le Temps» aux pires moments de la guerre du Kosovo, a atteint dans un article publié lundi 5 juillet les sommets du comique troupier.

A tête reposée, il estime que, grâce au talent diplomatique des Occidentaux, «ce qui apparaissait comme une défaite militaire de l’OTAN a ainsi été transformé en une victoire diplomatique de la coalition».

Qu’est-ce qui permet à Albert A. Stahel de se prononcer de manière aussi péremptoire? Rien d’autre que les affirmations «d’hommes du renseignement» aussi peu identifiés que les ovnis qui, par les nuits de la saint Laurent, illuminent parfois le visage des contemplateurs des cieux éthérés.

Sont-ce ces mêmes «hommes du renseignement» qui ont pris l’ambassade de Chine à Belgrade pour un nid de militaires serbes? Notre professeur ne le dit pas. Mais la manière qu’il a d’utiliser ces ragots de barbouzes vaut son pesant de Coca-Cola quand il affirme qu’on ne peut attribuer la capitulation de Belgrade aux destructions du système économique, «car les destructions ont été réalisées bien avant l’acceptation par Belgrade des conditions qui lui étaient posées». Il y a là un petit problème de logique causale qui m’échappe!

Je suis par contre tout à fait d’accord avec Albert A. Stahel quand il note que «la guerre a été mal planifiée dès le début». C’est une banalité que n’importe quel historien militaire confirmera sans sourciller.

Les guerres bien planifiées sont les guerres d’agression. Si la guerre du Kosovo a été planifiée, c’est par Milosevic et son état-major, qui ont su, pendant plus d’une année avant le déclenchement du conflit, étudier minutieusement leurs dispositifs, camoufler les déplacements de troupes, enterrer blindés et artillerie, prendre les populations kosovares en otage, délimiter les zones abandonnées à la soldatesque paramilitaire chargée de l’épuration.

Mais l’OTAN n’avait quant à elle aucune raison sérieuse d’entrer dans ces détails. Au nom de quelle motivation l’aurait-elle fait?

De surcroît, les composantes envoyées sur le terrain venaient des quatre coins de l’Europe. Elles ont été expédiées dans les Balkans au hasard d’un échec diplomatique (Rambouillet). Au nom de quoi auraient-elles passé l’année 1998 à tirer des plans sur ces mêmes Balkans?

C’est l’honneur de l’OTAN, défenseur du Kosovo, d’avoir entrepris sa campagne malgré son manque de préparation.

Et c’est encore son honneur – et sa grande victoire – d’avoir bouté l’armée serbe, même intacte, hors du Kosovo, sans tomber dans le piège de la guerre au sol où les soldats européens auraient été réduits en bouillie par des troupes serbes évidemment mieux motivées qu’eux.

Milosevic pensait pouvoir jouer avec les Occidentaux comme les Tchetchènes avec les Russes, mais c’est lui qui s’est fait prendre.

Les diplomates, par contre, n’ont (pour l’instant du moins) pas de quoi pavoiser. Il leur appartiendrait de faire en sorte que le Kosovo ne soit pas divisé en zones serbe et albanaise. Raison pour laquelle les Américains se sont (pour l’instant toujours) opposés à une forte présence russe.

Mais, depuis quelques jours, les nouvelles qui filtrent sur le comportement de l’armée française, qui a hérité de l’espace à majorité serbe du Kosovo, nous apprennent que les paras français font aussi bien que les Russes et qu’ils ont beaucoup de peine à faire la différence entre un musulman kosovar et un beur marseillais…

Dans ce sens, et malgré sa réputation d’honnête homme, la nomination de Bernard Kouchner n’est pas très encourageante. Non que je le soupçonne de racisme de bas étage. Mais il est des traditions françaises (en l’occurrence la serbophilie) auxquelles un individu peut d’autant moins résister qu’il sera entouré d’une armada de hauts fonctionnaires.

De plus, la nomination d’un Français à ce poste ne peut qu’être ressentie comme un atout par la Serbie. Et je n’ai pas le souvenir que Kouchner se soit distancé de François Mitterrand quand ce dernier menait une politique calamiteuse au moment de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie au début des années 90.