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Un fragile printemps palestinien

A peine nommé, le Premier ministre Abou Mazen concentre déjà l’agacement de la population palestinienne. Reportage à Ramallah.

Une drôle d’ambiance régnait ces derniers jours à Ramallah. A l’heure où les réformes de l’Autorité palestinienne produisent leurs premiers effets, avec la nomination du modéré Abou Mazen comme Premier ministre et la marginalisation politique du Président Arafat, les sentiments des habitants sont partagés entre soulagement et malaise.

Comme aux plus belles heures du processus de paix, les quelques cafés sélect de la ville ont rouvert et la bourgeoisie locale s’y affiche à nouveau sans complexe. Les experts internationaux, onusiens et autres, ont aussi fait leur réapparition. Sapés de leurs traditionnels uniformes complet-veston-lunettes-noires, ils paradent accompagnés de leurs inévitables clones locaux, pour la plupart de purs produits des grandes universités américaines.

Leur présence incarne à elle seule ce semblant de retour à la normale après plus de deux années de combat contre l’occupation israélienne.

C’est l’ensemble de la population de Ramallah qui paraît reprendre souffle. Les contrôles aux check points israéliens sont bien moins rigoureux, rendant les déplacements entre Ramallah et les autres grandes villes de Cisjordanie, que ce soit Naplouse (au nord) ou Jérusalem (au sud) plus faciles que par le passé (trois quart d’heure le trajet Jérusalem-Ramallah contre près d’une heure et demie il y a quelques semaines encore).

C’est là sans doute un signe de sérénité de la part des Israéliens après la mise à l’écart d’Arafat et la défaite de leur dernier ennemi sérieux au niveau régional, l’Irak. Serait-ce vraiment la fin de l’Intifada al-Aksa ?

En réalité, ce début de printemps palestinien cache mal un profond malaise. Il ne s’agit pas seulement de la perpétuation de la politique d’occupation israélienne sous la forme d’opérations dites ciblées contre les «terroristes» (treize morts encore à Gaza le 1er mai dernier) ou de la construction du mur destiné à séparer durablement la Cisjordanie d’Israël: ces mesures routinières font écho aux attentats-suicide du Jihad islamique, du Hamas, ou encore des Brigades al-Aksa émanant du Fatah.

Non, le malaise ressenti par une grande majorité de Palestiniens résulte d’abord de la désagréable impression qu’à l’heure où une nouvelle page de l’histoire du Moyen-Orient est en train de s’écrire, leur destin politique est une fois de plus confisqué par les puissances occidentales et Israël. C’est l’ensemble de la société palestinienne qui se retrouve discréditée, étalant au grand jour son impuissance à se prendre en charge elle-même.

Que penser, en effet, de la façon dont l’opinion publique internationale a accueilli les premières réformes de l’Autorité palestinienne? Elles ont été présentées comme une victoire des diplomaties américaines et israéliennes sur le Président Arafat, alors qu’elles constituaient depuis plusieurs années l’exigence d’une société civile lassée des turpitudes de ses instances dirigeantes, régulièrement accusées de corruption, de népotisme et d’incompétence.

On en voulait surtout à Arafat de n’avoir su — ou voulu — se départir de la moindre parcelle de son pouvoir. La satisfaction affichée haut et fort par Sharon et Bush au sujet des changements opérés au niveau de l’exécutif s’apparente donc à l’appropriation humiliante d’une revendication ancienne par les ennemis de la cause palestinienne

Du coup, l’agacement de la population palestinienne se concentre sur la personne investie pour incarner et mettre en œuvre la réforme, Mahmoud Abbas, plus connu sous son nom de guerre «Abou Mazen».

Ce membre fondateur du Fatah est d’abord perçu comme l’homme des causes douteuses. N’a-t-il pas été l’un des acteurs des Accords d’Oslo, aujourd’hui considérés comme des accords iniques ayant soumis les aspirations nationales palestiniennes aux intérêts sécuritaires d’Israël et de ses colonies de peuplement?

L’impopularité d’Abou Mazen est aussi due à son manque notoire de charisme, qu’il relève parfois par une ostentation mal venue. La villa de près de deux millions de dollars qu’il s’est offert dans un quartier défavorisé de Gaza peu après son arrivée en 1994 a achevé de lui aliéner les sympathies de la population.

Ses premiers pas en tant que Premier ministre ne laissent guère augurer du meilleur. Ses imprécations à l’encontre des mouvements extrémistes au nom de la reprise du processus de paix ont réduit à néant l’impact de ses appels au rassemblement national.

La politique de répression qui s’annonce a été précisée par le nouveau ministre en charge de la sécurité, Mohammed Dahlan. A peine intronisé, cet ancien responsable de la sécurité préventive de Gaza, aujourd’hui le chouchou des Américains et des Israéliens, déclarait que son objectif était désormais l’éradication de la branche armée du Hamas. C’est là moins une bravade qu’une adaptation de la position palestinienne à la feuille de route (la fameuse roadmap), qui conditionne l’avènement de l’Etat palestinien à la cessation des actes de violence.

La tâche se révèle des plus difficiles à réaliser. Le Hamas jouit en effet actuellement d’une cote de popularité élevée dans l’ensemble de la Palestine. Ses membres ont su jouer la carte de la résistance héroïque contre l’occupant israélien auprès d’une population économiquement meurtrie et qui ne croit guère à une quelconque possibilité de paix avec Sharon, encore perçu comme le «boucher de Sabra et de Chatila».

Selon un récent sondage réalisé par le Jerusalem Center for Media and Communication, plus de 60% des Palestiniens interrogés se prononcent pour la poursuite de l’Intifada. Le Hamas ne fait pas que jouer sur les frustrations des Palestiniens. De puis le début du soulèvement, ses services sociaux ont apporté une assistance matérielle et médicale précieuse aux plus démunis d’entre eux.

Il faudra donc à Abou Mazen autre chose que des mesures de répression pour s’assurer d’une adhésion populaire au processus de paix. Il s’agit d’abord de relever le niveau de l’économie palestinienne tout en obtenant rapidement des Israéliens l’arrêt de la colonisation et le départ des forces armées hors des villes.

Pour cela, Abou Mazen aura besoin du soutien politique et économique entier de la communauté internationale et des Etats-Unis en particulier. Une gageure quand l’on sait les relations privilégiées qui unissent l’Israël de Sharon et l’administration américaine actuelle.

Au moindre faux pas, Arafat ne fera de lui qu’une bouchée. Contraint pour l’heure de s’effacer derrière son dauphin, le Président palestinien se fait fort d’utiliser ses talents de tacticien politique hors pair pour revenir au premier plan… comme d’habitude.

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Jalal Al Husseini, 36 ans, est docteur en science politique et chercheur en relations internationales. D’origine suisse et palestinienne, il est domicilié à Amman.