LATITUDES

Face au porno, l’éducation sexuelle positive

Avec l’usage accru des réseaux sociaux, les jeunes reçoivent énormément d’informations sur le sexe, parfois plaisantes et formatrices, parfois fausses ou inadaptées. Pour répondre à leurs interrogations, les spécialistes en santé sexuelle adoptent une approche positive.

Dès sa sortie, la saison 3 de Sex Education a pris la tête des vidéos les plus regardées sur Netflix. Cette série anglaise suit le jeune Otis, qui crée un cabinet clandestin de sexologie dans son gymnase. Avec humour et empathie, elle aborde de nombreuses facettes de la vie sexuelle et amoureuse des adolescent·e·s. «Cette série est un pur exemple de sexualité positive», selon la formatrice en santé sexuelle Véronique Martinet, de la fondation vaudoise Profa.

Le succès du compte Instagram «Orgasme et moi» (suivi par près de 600’000 abonnés) s’inscrit dans le même état d’esprit. Son autrice, la Française Charline Vermont, vient de publier l’un des premiers guides francophones d’éducation à la sexualité positive intitulé Corps, amour, sexualité : les 100 questions que vos enfants vont vous poser. L’ouvrage, publié en septembre dernier chez Albin Michel, validé par un comité d’expert·e·s, s’est déjà vendu à 50’000 exemplaires.

Au sein de la Division interdisciplinaire de santé des adolescent·e·s (DISA) du CHUV, cette approche positive est appliquée au quotidien dans les consultations en santé sexuelle. «En premier lieu, la participation à un entretien est volontaire, gratuite et confidentielle», explique Anne Roulet, qui reçoit des jeunes de 12 à 21 ans. Les participant·e·s viennent en solo ou avec leur partenaire. «Ensuite, il est important de ne pas porter de jugement et de considérer le jeune avec empathie. L’inclusivité compte aussi beaucoup. Par la parole, l’attitude ou les affiches que nous mettons sur les murs par exemple, nous montrons que nous pouvons parler de la norme, comme du hors-norme, notamment en matière d’orientation et d’identité de genre.»

Approche hygiéniste vs approche moderne

La notoriété de la «sexualité positive», que ce soit dans les médias, les séries, en politique, ou dans la littérature, s’explique par divers facteurs, selon Caroline Jacot- Descombes, cheffe de projet Education sexuelle chez Santé sexuelle Suisse. «Les mouvements sociaux, comme la grève féministe de 2019 en Suisse ou le phénomène #MeToo, jouent un rôle important. La tendance du développement personnel, qui invite à se découvrir en tant qu’individu, participe aussi à cela.»

Sur un plan plus institutionnel, il faut remonter aux années 2000 pour observer un alignement entre le travail des associations et les demandes étatiques. «La déclaration des droits sexuels adoptée en 2008 par la Fédération internationale pour la planification familiale a constitué un vrai tournant, rappelle Caroline Jacot-Descombes. Auparavant, schématiquement, la Confédération et les cantons donnaient des financements pour la promotion, respectivement pour la réalisation de l’éducation sexuelle, dans le cadre de mandats de prévention contre les risques ; pour éviter les IST, les grossesses non voulues et les violences. Aujourd’hui, ils reconnaissent l’importance (et l’efficacité) des messages de découverte de son corps et de sa sexualité dans toute sa diversité.»

Il en va de même pour les consultations au CHUV. «Nous sommes sortis d’une démarche hygiéniste centrée sur les risques pour une approche holistique de la santé, estime Anne Roulet. Le but est que les jeunes sachent ce dont ils ont envie, connaissent leur corps et leur sexe, puissent le nommer, réalisent comme il est beau, afin de pouvoir se faire plaisir à eux-mêmes et à l’autre. Ils peuvent ainsi apprendre à donner (ou non) leur consentement, car ils connaissent mieux leurs limites et leur potentiel.»

Génération plus informée

La multiplication des contenus «sexe positif» a-t-elle transformé les jeunes d’aujourd’hui ? Séverine Chapuis et Véronique Martinet, éducatrices-formatrices en santé sexuelle et reproductive, travaillent depuis une vingtaine d’années pour Profa. La fondation est mandatée par le canton de Vaud pour donner cinq cours d’éducation sexuelle d’une heure et demie, répartis durant la scolarité obligatoire des enfants (de 6 à 15 ans). Les deux spécialistes constatent une libération de la parole. «Les jeunes ont intégré les distinctions entre sexe biologique, identité de genre, expression de genre et orientation sexuelle et émotionnelle. Ils connaissent aussi des notions pointues comme le polyamour.»

Anne Roulet observe également une hausse du niveau d’information des jeunes qui viennent en consultation à la DISA. «Ils ont plus de connaissances liées à l’orientation, à l’identité de genre, aux pratiques, mais aussi au féminisme. Le mot de consentement est par exemple beaucoup plus présent qu’il y a dix ans, chez les filles comme chez les garçons. Je trouve cela extrêmement enrichissant.»

Toutefois, les préoccupations des adolescent·e·s restent très similaires. «D’ailleurs, l’âge du premier rapport sexuel se maintient depuis près de trente ans à 17 ans et demi», rappelle Séverine Chapuis. Anne Roulet constate aussi une certaine continuité dans les sujets abordés. «Les jeunes souhaitent savoir s’ils sont normaux, comment embrasser, ce qu’ils sont censés ressentir quand ils sont amoureux, comment se déroule un rapport sexuel, pourquoi ils ont mal dans telle ou telle position, etc.»

«Si le mode de communication entre les jeunes a changé et passe davantage par les smartphones, les fondements des relations demeurent souvent les mêmes, remarquent Yves Cencin et Carol Navarro, qui interviennent comme équipe formatrice consultante en promotion et éducation à la santé dans les écoles du canton de Genève (pour le compte du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse). Les propos de ces jeunes sont parfois fleur bleue, parfois déroutants, parfois crus.»

Exposition à la pornographie

Internet n’a pas seulement donné accès à des contenus épanouissants pour les jeunes, il a aussi facilité le visionnage de films pornographiques. «Avec la généralisation d’internet et des téléphones connectés, les jeunes sont arrosés d’informations et d’images liées à la sexualité qui excitent beaucoup leurs cerveaux et qu’ils n’ont pas forcément souhaité voir, estime Véronique Martinet. Il leur est difficile de passer entre les gouttes de ce type de contenu.» Le sujet est abordé dans les cours et consultations sur la santé sexuelle. «La pornographie se retrouve dans leurs questions de manière implicite, par exemple à travers des interrogations sur un acte sexuel, caractéristique de scénarios de films pornographiques», constate Yves Cencin. «Les jeunes utilisent aussi parfois du langage ordurier, ou demandent carrément, dans une attitude provocatrice, ‹ c’est quoi leur meilleur site porno ?›», relève Séverine Chapuis.

Les questionnements autour de la performance sont marqués par la pornographie. «Il arrive qu’on nous demande : ‹si je couche, est-ce que je dois faire une fellation, une sodomie ?›, souligne Séverine Chapuis. Notre réponse est alors très claire : ‹En amour ou en sexualité, personne ne te force à quoi que ce soit.›» Les formatrices rappellent aussi que la consommation de pornographie est interdite en Suisse en dessous de 16 ans. «On ne diabolise pas totalement non plus, on explique que la pornographie sert à exciter, qu’elle pourrait faire partie de leur vie d’adulte dans le futur.»

Esprit critique

Dans les consultations d’Anne Roulet, tout ce qui est source de pressions et de stéréotypes est déconstruit, notamment la pornographie. «Les films pornographiques sont porteurs de stéréotypes. Dans la cinématographie classique aussi d’ailleurs, la sexualité hétéro se résume souvent à un baiser, l’homme qui déshabille la femme, la pénétration et l’orgasme.» La conseillère en santé sexuelle de la DISA au CHUV parle régulièrement avec les jeunes de la fabrication de la pornographie. «Ces films montrent souvent un type de vulve, un type de pénis. Il s’agit de révéler les trucages, en expliquant comment les sexes sont lustrés, les testicules tirés, pourquoi les érections y sont si longues.»

Les enseignements collectifs comprennent généralement une partie questions-réponses. «Les jeunes reçoivent beaucoup d’informations, parfois vraies, parfois fausses, souligne Carol Navarro. Celles-ci proviennent d’internet, mais aussi – comme auparavant – des amis, de membres de la famille, etc. Nous leur apportons un savoir scientifique, des outils et déconstruisons ensemble un certain nombre d’idées reçues sur la sexualité et les relations amoureuses.» /

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Les grandes définitions

Santé sexuelle suisse reconnaît la sexualité comme «un aspect central et positif de l’être humain, qui comprend le sexe biologique, l’identité, les rôles (le genre) et l’orientation sexuels, l’érotisme, le désir, l’intimité et la reproduction».

L’Organisation mondiale de la santé a intégré la dimension positive de la sexualité dans ses définitions en 2006. «La santé sexuelle est un état de bien-être physique, mental et social eu égard à la sexualité, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité.»

La santé sexuelle s’entend, pour l’OMS, comme une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que comme la possibilité de vivre des expériences agréables et sûres, exemptes de coercition, de discrimination et de violence.

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À la maison

Les parents et l’entourage participent à l’éducation sexuelle de leurs enfants, en complément des cours donnés à l’école. Voici quelques repères à ce sujet :

Entre 0 et 6 ans, les parents peuvent nommer les parties intimes, accueillir positivement la découverte du corps de l’enfant, ses jeux d’exploration et introduire la notion du consentement. Une posture ouverte sur la diversité de la sexualité et des genres est aussi conseillée.

Livre: Éléphantine, Renardo et Charlie

Entre 6 et 12 ans, les adultes sont invités à expliquer les premiers signes de la puberté, les manières de vivre de chacun·e, à respecter le besoin d’intimité de l’enfant.

Livre : Guide du zizi sexuel

Entre 12 et 15 ans, il est conseillé d’ouvrir la discussion sur le rapport au corps et à l’image de soi, les relations respectueuses aux autres, notamment sur les médias sociaux. Il s’agit aussi d’informer sur le cycle menstruel, la contraception et les préventions contre les infections sexuellement transmissibles.

Brochures : Hey you, Mon sexe&moi

Les ressources en ligne

Pour les jeunes entre 11 et 20 ans. Sur la plateforme d’information et de conseil ciao.ch, les jeunes posent leurs questions sur la sexualité et des spécialistes y répondent dans les deux jours. Ils peuvent également consulter les demandes – toutes anonymes – posées par d’autres et les réponses correspondantes.

Pour les parents d’enfants de 0 à 18 ans. Le site educationsexuelle-parents.ch comprend des informations sur la façon de parler de sexualité au sein de la famille, ainsi que les coordonnées de centres où parents et enfants peuvent obtenir un conseil.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 25).

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