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Vous reprendrez bien un peu de neutralité?

La tentation de la Suisse de se tenir à distance des sanctions internationales contre la Russie est peut-être cynique, mais sûrement pas idiote.

La Suisse n’a peur de rien, on le sait. Surtout pas de la neutralité. Il faut pourtant une certaine dose de sang-froid, -on ne dira pas de courage car il n’a rien à faire ici-, pour oser rester neutre dans cette affaire d’Ukraine. Neutre et impassible au milieu de la réprobation générale dont le camp occidental accable le suranné et absurde bellicisme poutinien.

Pour l’heure la Suisse attend. Elle condamne bien sûr, selon une formule convenue ne faisant guère que décrire la réalité: «Le Conseil fédéral  condamne l’action de la Russie, qui constitue une violation du droit international et une atteinte à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine.»

Mais il semblerait que l’on s’achemine sans doute, comme en 2014 lors de l’annexion éclair de la Crimée, vers une sorte de semi-neutralité. On condamne mais on ne participe pas aux sanctions, tout en s’arrangeant aussi pour ne pas transformer la Suisse en discrète plaque tournante propice au contournement des dites sanctions.

Cette façon discrète de se tenir en dehors de la valse des punitions pourrait évidemment sembler bien égoïste. Ne pas heurter les sensibilités des puissants -et spécialement des très puissants-, est souvent interprété à l’étranger comme l’une des clés peu glorieuse des succès économiques de la Suisse.

Il n’empêche: l’argumentaire officiel est déjà prêt et joliment rodé, à entendre une haute fonctionnaire du DFAE, réciter que «des sanctions unilatérales n’ont pas de sens pour un petit acteur comme la Suisse».

Il n’y a pas de raison pourtant, d’accompagner cette prudence de signes même faibles de bienveillance, voire de neutralité trop appuyée, comme le voudrait par exemple l’UDC. On sait que la tentation est grande dans les marges droite et gauche de voir le poutinisme comme une sorte de nationalisme patriotique à prendre en exemple. Pour endiguer, par exemple, les flux migratoires et sauver d’évanescentes valeurs chrétiennes. Ou au contraire, une espèce tout de même courageuse de résistance à l’empire américain qu’il est si facile de honnir.

Les extrêmes droites et gauches, suisses et européennes, devraient pourtant le savoir: cet homme-là a démontré depuis le début de son règne, dans chacun de ses discours et gestes, qu’il déteste profondément l’Occident. Pour des raisons qui ont autant à voir avec la psychologie, qu’avec l’histoire ou la géopolitique. Dire que Poutine n’est pas notre ennemi, ce n’est pas dire grand-chose puisque chacun sait, sans avoir besoin de relire quelque antique traité chinois sur l’art de la guerre, que l’ennemi n’est pas quelqu’un qu’on choisit mais qui vous choisit.

Il n’y a pas non plus, à l’inverse, beaucoup de sens, comme l’a fait le conseiller aux États socialiste Carlo Sommaruga, à exiger un alignement entier de la Suisse sur les sanctions, au motif vite énoncé que «dès lors qu’il y a une violation de droit international public, il n’y a plus de neutralité».

Vite énoncé, car, outre que cela irait contre les intérêts de la Suisse, ce serait surtout s’engouffrer dans un système particulièrement inefficace. Les sanctions de 2014 ont ainsi abouti principalement à ce que la Russie se décide à enfin améliorer un de ses plus gros talons d’Achille, l’agriculture, passant en quelques années de pays importateur à pays exportateur de blé.

Notons d’ailleurs parmi les exemples qu’avaient donné il y a quelques jours un ambassadeur russe pour dire que la Russie se moquait des sanctions dans les suprêmes largeurs, figurait curieusement le fromage suisse. Privée d’une si délicate denrée par les embargos, la Russie se serait mis à fabriquer «un fromage russe aussi que bon que le fromage suisse en copiant simplement les recettes suisses».

Et puis les indignations, les condamnations, les sanctions, l’histoire le montre, n’ont jamais vraiment empêché les frontières de bouger quand existe une volonté affirmée de les faire bouger. Seule une force et une volonté contraires au moins équivalentes permettent en général d’arrêter de tels mouvements.

Le camp occidental étant prêt à tout sauf à la guerre, on peut considérer la cause comme entendue, la seule inconnue restant la part exacte d’Ukraine que l’ogre russe aura décidé de digérer. Sous l’œil atone des neutres et fulminant des autres.