LATITUDES

Le stade de foot est un lieu de culte

Le FC Bâle vient d’envoyer une mise en demeure à certains de ses supporters. Soit ils s’engagent à «se distancer de la violence», soit ils seront interdits de stade. Au même moment, une exposition…

«De la violence, il y en aura toujours, on ne va pas assister à un match pour rester peinard. On y va pour se défouler.» Telle est la conviction de Manuel Hartmeier, un jeune fan du club de foot bâlois que j’ai repéré à sa tenue vestimentaire parmi le public exclusivement masculin qui visite en cet après-midi l’exposition Kultort Stadion («Le stade comme lieu de culte»).

L’expo, qui vient d’ouvrir à Bâle, raconte l’univers du football, ses dérives violentes, racistes et discriminatoires mais aussi ses moments d’euphorie collective. Klaus Littmann, le célèbre galeriste et faiseurs d’«events» culturels, l’a conçue en ethnologue, sans trace d’une visée morale.

Sa mise en scène réserve quelques beaux sujets d’étonnement. Que diable cette tête de porc conservée dans un bocal vient-elle faire ici? Elle avait été lancée sur la pelouse du stade de Barcelone par des supporters n’admettant pas que «leur» joueur, Luis Figo, ait rejoint les rangs du Real Madrid.

Et ce pendu, plus précisément ce mannequin représentant un footballeur noir, la corde au cou? Il arrive de Vérone où, durant tout un match, il a été exhibé par des militants d’extrême droite sans que personne ne tente de le déloger.

Et cette carcasse de voiture calcinée? C’est une malheureuse voiture qui se trouvait sur le chemin de hooligans déchaînés après la défaite de leur équipe.

L’origine de mes étonnements successifs s’explique par mon inculture footballistique. Car c’est en fait toute l’histoire récente du ballon rond qui est retracée. Des vidéos, des photos, des calicots, un petit arsenal, de surprenantes citations de Freud, Sartre, Schopenhauer, Camus ou Nietzsche: on découvre tout cela et bien d’autres choses en déambulant dans l’énorme halle un peu glauque – une ancienne usine – qui abrite Kultort Stadion.

Cinq pavillons illustrent autant de thèmes: la violence, l’ultraviolence, les mots, le racisme et la masse.

Visiter le pavillon «Masse», le plus fort à mon goût, c’est être tenaillé entre deux projections vidéos gigantesques. D’un côté les scènes de panique du Heysel, de l’autre des manifestations de liesse et ces émotions chorégraphiées que sont les «olas». Emotion saine et agression incontrôlée, «l’esprit du football est fait de souffrance et d’euphorie», lit-on sur une affichette. A ses côtés, une longue liste répertorie les centaines de personne sacrifiées au dieu football dans les stades du monde entier.

Manuel Hartmeier, le jeune supporter bâlois, a sans doute perçu ma stupéfaction face à tant de violence. Il me lance: «Ce que vous voyez là, c’est la réalité». Je lui demande si ça ne l’inquiète pas. «En Italie, oui, ils vont vraiment trop loin!».

Et ici, à Bâle? «La nuit qui a suivi la rencontre contre Lucerne, c’était vraiment rude. Vous avez vu la photo, là-bas, où on voit le kiosque détruit?»

Manuel a déjà accompagné son équipe fétiche à Turin et Liverpool. Il attend impatiemment le prochain déplacement à Manchester. Un hooligan sommeille-t-il derrière ce visage souriant et un peu timide? J’ai de la peine à l’imaginer. Mais, sur la paroi du pavillon où nous nous trouvons, une citation de Diderot rappelle qu’«il n’y a qu’un pas entre fanatisme et barbarie.»

Le responsable de la sécurité du FCB, Gerold Dünki, en est conscient. Il vient d’envoyer par courrier une «Absichtserklärung» (déclaration d’intention) à certains supporters du club. Soit ils signent le document et s’engagent ainsi à «se distancer de la violence», soit ils s’y opposent et seront interdits de stade (l’information est parue dans la Basler Zeitung, «FCB droht Fans: Unterschrift oder Stadionverbot», le 4 février 2003).

Une mesure impensable il y a quelques années encore. L’exposition bâloise présente un grand panneau où figurent les mutations intervenues dans le monde du foot depuis vingt ans : seules les 90 minutes réglementaires semblent ne pas avoir changées. «Le stade est un véritable sismographe de notre monde», estime Klaus Littmann, dont l’exposition ne s’adresse pas qu’aux seuls habitués des gradins.

Nicolas Sarkozy, l’hyperactif ministre français de l’Intérieur ferait bien d’y aller faire un tour. Lui qui vient de chausser ses crampons pour s’attaquer aux hooligans et imposer la tolérance zéro dans les stades comprendrait peut-être qu’il se trompe de cible en visant ces miroirs de la société. A moins qu’il ne cherche qu’à profiter de l’aspect très médiatique du foot pour faire diversion?

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Exposition Kultort Stadion jusqu’au 8 mars 2003 dans la halle 7 du «Gundeldinger Feld», Dornacherstrasse 192, à Bâle. Ouvert tous les jours de 10 à 17 heures. Entrée gratuite. A dix minutes à pied de la gare CFF ou, avec le tram 15, jusqu’à Bruderholzstrasse.

Chaque jeudi à 20 heures, une animation est organisée avec pour invités Christian Gross, des joueurs, du FC Bâle, des supporters ou des comédiens.