KAPITAL

Recrutons adolescents pour «guerilla marketing»

Une nouvelle technique commerciale a été lancée par la firme new-yorkaise Soulkool. Le principe du «peer-to-peer» appliqué à la publicité directe. Reportage.

Les murs sont immaculés. Le mobilier réduit à l’essentiel: quelques tables et une rangée d’ordinateurs pour la dizaine d’employés. La chaîne stéréo est le seul élément saillant de la pièce. Enorme. En fond sonore: un soul rap très langoureux, probablement très cool puisque la boite qui occupe ces locaux sur la 21e Rue à Manhattan assure la promotion de tout ce qui est «cool».

David Elias, 29 ans, fondateur de Soulkool, utilise un Motorola pour les appels locaux et un Nokia GSM pour l’Europe. Il me montre son tatouage camouflé sous sa Rolex et ses pantalons Paul Smith dénichés à Paris pour 50 dollars au lieu de 250 à New York, «ce qui est encore plus cool».

Mais le plus «cool» chez Soulkool, c’est la méthode de promotion plus que les produits promus: «le marketing de la rue». En trois ans, David a constitué un réseau de près de 20’000 personnes, des jeunes surtout, qui vantent auprès de leurs pairs les mérites d’un disque, d’un jeu ou de n’importe quel produit.

«C’est du marketing de pair à pair (peer to peer marketing), explique David. Si je te donne cinq CD, que tu as 18 ans, que je te demande de les distribuer autour de toi, les chances sont grandes que tu influences un ou plusieurs amis.»

En contrepartie de ses services, le jeune intermédiaire reçoit des CD, des DVD ou des t-shirts gratuits. Parfois même, mais c’est plus rare, de l’argent. Récemment, David recrutait sur son site des gens pour distribuer des papillons au tarif de 250 dollars la soirée.

Les jeunes de 17 à 34 ans forment le public-cible de Soulkool, qui a déjà lancé des campagnes pour Coca Cola, Nintendo, la chaîne musicale VH1 et les disques Arista. «C’est le public le plus difficile à saisir car il est totalement imperméable aux campagnes de pub traditionnelles. Et c’est justement l’âge où l’influence des pairs est majeure», poursuit David Elias.

En termes d’affaires, c’est aussi un public à prendre. «Cette génération est très sensible aux marques mais ses goûts ne sont pas encore formés. Cela dit, une fois que ces jeunes s’attachent à une marque, ils demeurent fidèles, c’est donc un public de choix pour les annonceurs», explique le responsable des relations à la clientèle de Soulkool.

Le recrutement de ces mercenaires de la rue s’est fait au départ par le bouche à oreille, explique encore David Elias. «J’ai commencé seul, avec mes amis, de dix on est passé à 100 et ainsi de suite.» Aujourd’hui, l’embauche se fait par le site de la compagnie Soulkool.com.

Les adolescents intéressés s’inscrivent pour telle ou telle campagne de pub. Les tâches à remplir diffèrent selon le produit à vendre. Mais l’idée de base reste généralement la même: distribuer disques, t-shirts, papillons ou échantillons quelconques dans les endroits qu’ils fréquentent, que ce soit leur disquaire, le bistrot où ils se rencontrent après les cours, le supermarché du coin, peu importe. Pourvu que le lieu soit jeune et branché, c’est à dire à leur image.

Pour vérifier que ses soldats — David parle volontiers de guerilla marketing — distribue bien son matériel, Soulkool a mis au point un système de feedback plutôt contraignant. Les jeunes arpenteurs de la rue sont priés de transmettre chaque semaine un rapport détaillé de leurs activités par e-mail ou messagerie instantanée.

David fait la démonstration de son logiciel. Il ouvre au hasard un point sur la carte des Etats-Unis qui s’affiche sur son écran d’ordinateur. Il clique Boston: une liste de noms s’affiche. «Nos mômes sur place.» Reclic sur un nom et une boîte se déroule: «Hier, j’ai collé un poster sur un poubelle en face de la librairie Border’s, le contraste des couleurs le rend non-ignorable», a écrit la jeune recrue.

«Non ignorable», se marre David. «Le simple fait d’avoir écrit un truc pareil me prouve qu’il l’a vraiment collé son poster.»

Les différentes activités, avec parfois vidéos et photos des jeunes en action à l’appui, sont ensuite compilées dans un rapport détaillé, remis deux fois par mois aux clients. Côté clients justement, David se permet de trier, dit-il: «Nous n’acceptons pas tout, il faut que leurs produits soient cool.»

Pour décider de la «coolitude» d’un produit, même système: David active une partie du réseau. S’il a moins de 80% de réponses positives, il refuse le projet.

Reste que quand on lui demande une définition du cool, il hésite. «Je préfèrerais vous mettre ça par écrit et vous l’envoyer par mail.»

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(J’attends toujours l’e-mail de David. Pas très cool de faire des promesses et de ne pas les tenir…)