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L’impossible président

C’est avec une cote de popularité au plus bas qu’Ignazio Cassis arrive à la tête de la Confédération. Et s’il n’était pas aussi nul que chacun le dit?

Normalement, le merlot aurait dû couler à flots dans les grottos. Normalement, cela aurait dû être une sympathique nouvelle: pour la première fois depuis 1998, depuis Flavio Cotti, la Suisse se retrouve avec un président tessinois. Mais voilà, ce président, c’est Ignazio Cassis.

Autrement dit, un mystère. Et même, comme a pu l’écrire «Heidi.news», une «énigme fédérale». On pourrait supposer qu’il ne s’agit là que d’un agacement de journalistes fâchés de ne pas arriver à savoir exactement ce que pense le conseiller Cassis de tous ces sujets à propos desquels il est à peu près obligatoire de penser quelque chose. Comme la crise climatique ou celle des migrants. C’est au point qu’on ne sait pas trop non plus ce que ce drôle de ministre des Affaires étrangères suit comme ligne dans le dialogue de sourds avec Bruxelles et la Commission européenne.

Sauf qu’Ignazio Cassis ne paraît pas tellement plus apprécié hors des sphères médiatiques. Un sondage réalisé par «l’Illustré» établit ainsi que dans la population, le Tessinois est le moins aimé des sept conseillers fédéraux. Pourquoi? On ne sait pas trop. Mystère, on vous dit.

La cote de popularité d’Ignazio Cassis n’est pas non plus au zénith dans la classe politique. La gauche lui reproche sa trop grande proximité avec l’UDC (mais à qui n’adresse-t-elle pas ce reproche?). La droite fustige la mollesse de son approche européenne. Pour couronner le tout, il semble que ses relations avec sa collègue de parti au Conseil fédéral, Karin Keller-Sutter, placée elle, glorieusement en tête du baromètre de «l’Illustré», ne sont pas terribles.

Parmi les douceurs qui peuvent s’énoncer sous la Coupole à propos du nouveau président, citons, en vrac: «immense isolement au sein du Conseil fédéral», «absence de ligne cohérente», «plombé par le dossier européen», «fatigué physiquement et usé mentalement».

Tout cela semblerait presque trop moche pour être honnête. On pourrait imaginer que si ce monsieur Cassis est le moins populaire des ministres, c’est peut-être parce qu’il est le moins connu, et s’il est moins connu, c’est possiblement par la grâce d’un tempérament qui le porterait moins que d’autres à l’autoglorification. Parmi ses plus épouvantables défauts ne cite-t-on pas celui d’être «chaleureux» et même «respectueux»?

Ou encore que si sa conduite du dossier européen ne ressemble pas à grand-chose, c’est peut-être que la position de la Suisse sur cette question, depuis des années, n’est pas non plus très charpentée (en gros bénéficier de tous les avantages d’un membre de l’Union européenne sans en assumer les inconvénients)? Qu’enfin, le chapeau qu’on essaie de faire porter à Ignazio Cassis est sans doute un peu gros pour lui: en effet, c’est le Conseil fédéral en entier qui pourrait être, à bon droit, tenu pour responsable de l’échec dans ce jeu de poker avec l’Europe.

Certes, son élection s’est révélée très moyenne: 157 bulletins sur 237. C’est tout de même mieux que le camouflet historique infligé à Micheline Calmy-Rey en 2006 avec son élection à 106 voix. D’ailleurs, même Super Berset, pour la vice-présidence, n’a pas fait tellement mieux: 158 voix.

Et puis, parmi les raisons de la mollesse du soutien à Cassis, on peut placer des considérations politiciennes par forcément glorieuses. Les Verts, par exemple, ont pu lui savonner la planche en pensant à ce siège radical qu’il rêve et trouve légitime d’accaparer dès 2023.

Enfin, ce qui agace sans doute plus que tout chez lui, c’est la manière dont il répond aux pluies de critiques qui s’abattent régulièrement sur sa modeste personne: par un silence épais comme une nuit noire. Bref, personne n’attend rien de la présidence Cassis.

Ce n’est pas pour autant qu’on sera indulgent. Après une présidence Parmelin réussie, là aussi contre pas mal de présages d’oiseaux de mauvaise augure, on ne sera guère à pardonner à Cassis, médecin de profession, de bafouiller son année présidentielle, placée, comme c’est probable, sous le signe d’une tenace pandémie.