LATITUDES

Les SMSistes réinventent la langue française

Peut-on vraiment parler d’un nouveau langage quand les adolescents écrivent «GTentr12penCatwa» pour dire «j’étais en train de penser à toi»? Les linguistes se penchent sur la question.

Il y a beaucoup de similitudes entre les réparties de «Zazie dans le métro», publié en 1959, et les échanges électroniques. Avec son écriture, le militant langagier qu’était Raymond Queneau commettait à l’époque de véritables attentats contre la langue française. Son «néo-français» à l’ortograf fonétik, ses jeux de mots, abréviations, syncopes, disparitions des voyelles et pronoms personnels préfiguraient la cyberlangue française.

Une cyberlangue qui, à mille lieues des dictées de Pivot, s’efforce de débarrasser la langue française de son corset académique par une simple transcription des prononciations quotidiennes. Ecrire comme on parle: c’est le nouveau mode de communication appelé «conversation écrite» par le linguiste Jacques Anis, auteur de «Texte et ordinateur, l’écriture réinventée», paru aux éditions De Boeck.

Pour écrire en quelques mots ce qu’ils diraient en plusieurs minutes, les tchatteurs et autres SMSistes recourent, consciemment ou non, à de très vieux procédés. Le SPQR (Senatus populusqueromanus des Romains) est bien antérieur au mdr (mort de rire).

Apollinaire dans ses «Calligrammes» ou l’Oulipo s’essayaient à des procédés stylistiques présents aujourd’hui dans nos messages électroniques.

«Quand on écrit vite, on a tendance à retrouver le réflexe de l’enfant, qui écrit spontanément en rébus. L’écriture SMS a des racines dans l’enfance et dans l’histoire», explique Jacques Anis.

Le désir de communiquer prime sur le souci de la forme. Ainsi, en réduisant les inhibitions face à l’écriture, les nouvelles technologies remettent l’écrit au goût du jour. Mais quel écrit? N’est-ce pas qu’un vague anglais francisé? Peut-on vraiment parler de l’avènement d’un nouveau langage? Faut-il s’y mettre sous peine d’avoir l’air «naz»?

«Parlez-vous texto?», «SMS/Texto: le guide pratique» (Robert Laffont), «Les SMS, le langage universel du 21ème siècle» (éditions Marabout), «La cyberlangue française» (éditions La Renaissance du Livre»): ce printemps voit éclore les premières publications abordant ces interrogations.

Au terme de plusieurs mois d’observation de chat-rooms, Aurélia Dejond, journaliste free-lance de 27 ans, nous propose dans «La cyberlangue française» ses réflexions sur le langage en ligne et son usage. Selon elle, nous assistons plus à une évolution de la langue qu’à une réelle révolution.

«Le cyberlangage a ceci de particulier qu’il n’est pas statique: il bouge, il vit au gré de l’imagination des internautes, écrit-elle. L’écrit virtuel complète le français de façon subtile: une sorte de mélange entre l’oral et l’écrit, un style oratoire bousculé par la vitesse, chamboulé dans ses règles et ses conventions. Si la Toile semble signer le retour en force de la langue écrite, elle traduit surtout un phénomène social plus que linguistique. Une envie, voire un besoin de communiquer, mais autrement».

N’est pas Queneau qui veut! Sous sa plume, les anglicismes devenaient de délicieux vocables autochtones: bâille-naïte, coboille, fleurte ou cornéde bif. Alors que l’écrivain français voulait fonder une nouvelle langue, la cyberlangue française veut elle se libérer de toutes les règles académiques tout en reposant néanmoins sur une règle: celle du moindre effort linguistique.