Les recherches de la New York Academy of Medecine après les attaques terroristes ont débouché sur des résultats surprenants: ce sont les populations hispaniques qui ont le plus souffert.
Comment les citoyens new-yorkais ont-ils encaissé psychologiquement le traumatisme du 11 septembre? Observe-t-on parmi eux une recrudescence de certaines pathologies? Si oui, lesquelles, et qui en sont les principales victimes? Une première réponse à de telles interrogations vient d’être publiée par le très sérieux New England Journal of Medecine (dans son édition du 28 mars 2002).
De graves effets psychologiques sont généralement constatés après des catastrophes causant de larges pertes humaines, d’importants dommages matériels et impacts financiers, notamment les catastrophes causées intentionnellement. Tous ces éléments étaient réunis lors de l’attaque du World Trade Center, suggérant par là que les séquelles psychologiques allaient être importantes et de longue durée.
Sandro Galea de la New York Academy of Medicine et six de ses collaborateurs ont tenté de déterminer la prévalence (nombre de cas rencontrés dans la population à un moment donné) des désordres psychopathologiques à Manhattan, cinq à huit semaines après le 11 septembre. Les chercheurs se sont focalisés sur le syndrome de stress post-traumatique (ou SSPT) et la dépression – les deux principales séquelles psychologiques provoquées par des traumatismes.
Leur méthode? Des interviews téléphoniques auprès d’un échantillon représentatif de la population adulte résidant au sud de la 110e rue. Un questionnaire portant sur des caractéristiques démographiques, l’exposition le jour J (témoin ou non de l’événement, a dû ou non quitter son logement, a subi la perte d’un proche) et l’apparition de problèmes psychologiques (réexpérience persistante de l’événement traumatique, cauchemars, réflexes de sursaut, difficultés à se concentrer) leur a été soumis. Les chercheurs se sont aussi intéressés au vécu émotionnel de ces personnes durant les six mois précédant l’attaque et au nombre de situations stressantes endurées durant l’année écoulée.
Parmi les 1008 adultes interrogés, 7,5% souffraient de SSPT et 9,7% de dépression. 3,7% présentaient les symptômes des deux pathologies. Au sud de Canal Street, donc plus près du drame, la prévalence de SSPT atteignait 20%.
Ces résultats laissent supposer, que dans l’aire comprise en dessous de la 110e rue, approximativement 67’000 personnes avaient un SSPT et 87’000 une dépression à l’époque de l’étude. Des chiffres deux à trois fois supérieurs à ceux enregistrés en temps normal.
L’analyse statistique des données récoltées à Manhattan met en évidence des facteurs prédictifs auxquels on pouvait logiquement s’attendre, et d’autres plus surprenants. Ainsi, les facteurs prédictifs de SSPT étaient: l’appartenance à l’ethnie hispanique, au moins deux situations de stress antérieures au 11 septembre, une attaque de panique peu après les événements, un lieu de résidence au sud de Canal Street et une perte matérielle consécutive aux attaques.
Les facteurs prédictifs à la dépression étaient: l’appartenance à l’ethnie hispanique, au moins deux situations de stress antérieures, une attaque de panique, un faible soutien social, la mort d’un ami ou d’un parent, la perte de son emploi due à l’événement.
Des Asiatiques et des Noirs qui résistent mieux que des Blancs ou des Hispaniques à des traumas: il y a là de quoi surprendre le non-spécialistes. En revanche cela n’étonnera pas les professionnels, qui ont déjà mis en évidence la relation entre l’appartenance à un groupe minoritaire et la survenue de psychopathologies après un désastre.
Parmi les vétérans de la guerre du Vietnam, les Hispaniques ont attiré l’attention par leur plus forte prévalence au syndrome de stress post-traumatique. Comment expliquer une telle corrélation? Des recherches en cours devraient apporter des bribes de réponses.
Et qu’en est-il de l’évolution des pathologies? Les victimes voient en général leurs symptômes disparaître progressivement durant les trois mois suivant le traumatisme. Mais un tiers d’entre elles ne se remettent jamais complètement, affirment les auteurs de l’étude.
Faute d’études similaires, il est difficile d’établir des comparaisons avec d’autres catastrophes. Seuls le tremblement de terre de Los Angeles en 1992 et des inondations ont fait l’objet de recherches du même type. Six mois après les secousses, on enregistrait une prévalence de 4,1% de SSPT à Los Angeles et la prévalence de dépression dans les zones inondées du Midwest était identique à celle de Manhattan (9,5%).
Qu’en est-il parmi les victimes du Rwanda, d’Afghanistan ou de Ramallah?