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Edmund Stoiber, entre culotte de cuir et ordinateur portable

Le candidat bavarois pourrait bien succéder à Gerhard Schroeder en septembre. Portrait d’un homme qu’on surnommait «la guillotine blonde».

«Il est inadmissible que l’Allemagne ait le développement économique le plus faible de l’Union Européenne.»

Edmund Stoiber donne le ton au moment de sa nomination comme candidat des partis de l’Union. Le premier-ministre bavarois et président de la CSU (Union Chrétienne Sociale) a finalement accepté de se lancer à la course à la Chancellerie fédérale après le retrait plus ou moins forcé de sa concurrente Angela Merkel.

Un Bavarois en course pour la plus haute fonction du pays! On n’avait plus vu ça depuis 1980 avec Franz-Josef Strauss, même celui-ci avait lourdement échoué. Trop bavarois, trop folklorique et trop polarisant.

C’est donc le poulain de Strauss qui reprend le flambeau 22 ans plus tard. Et ses chances de réussite semblent bien meilleures.

Edmund Stoiber, né en 1941, est un pur produit du système CSU. Sa carrière politique a commencé au début des années 70. Étape après étape, celui qu’on surnommait la «guillotine blonde» pour ses propos contre la gauche a su gravir les échelons du parti. Son instinct politique lui aura permis de s’approcher de ceux qui peuvent lui servir.

C’est en toute logique qu’il s’est mis au service de Franz-Josef Strauss, la figure bavaroise la plus emblématique et la plus décriée dans le reste du pays. C’est Strauss qui voulait introduire l’arme atomique en Allemagne dans les années 50, alors qu’il était ministre de la défense, et c’est encore Strauss qui provoquait un soulèvement populaire lorsqu’il faisait occuper en 1962 la rédaction de l’hebdomadaire «Der Spiegel», plongeant du même coup la jeune république fédérale dans une crise démocratique. Le «Spiegel» s’était permis de publier un article sur les plans de défenses de l’Otan.

Mais c’est aussi Strauss qui a fait du parti ce qu’il est aujourd’hui: une formidable machine électorale dont l’implantation communale reste sans pareil. En Bavière, société civile, monde économique et CSU n’ont pas de frontières bien définies. Dans ce Land où les acteurs sont habitués à la cooptation, un résultat au scrutin en-dessous de la barre des 50% est considéré comme une défaite.

Cette cohésion bien particulière a aussi permis à la Bavière de devenir ce qu’elle est: une région qui a su passer de l’ère agricole à celle de la société des services sans grands heurts. Aujourd’hui, le Land du sud connaît, au même titre que les Länder du Bade-Wurtemberg et de Hesse, le taux de chômage le plus bas d’Allemagne ainsi que le développement économique le plus robuste.

Arrivé au pouvoir en 1993 après un scandale financier qui ébranla la république bavaroise, Edmund Stoiber n’a pas changé la donne. Un programme de privatisations d’entreprises a permis de dégager plus de cinq milliards d’euros, qui ont été investis dans la recherche et la formation. Munich est devenue au court des années 90 une ville high-tech. Il serait pourtant hâtif de voir en Stoiber un chantre du capitalisme à l’américaine.

Edmund Stoiber, tout comme Gerhard Schroeder, appartient à cette nouvelle génération de politiciens-managers. L’un comme l’autre ne possèdent pas d’idéologie particulière. Ils sont des opportunistes pragmatiques, avec une oreille attentive aux soucis des citoyens qui s’inquiètent des mutations de la société allemande. Ils n’hésitent pas à investir de leur personne, ainsi que les deniers du contribuable, pour sauver des entreprises en déroute (le groupe immobilier Philipp Holzmann ou Grundig).

Stoiber est aussi peu libéral que Schroeder social-démocrate. Ce qui plait au public est toujours bon à réaliser, indépendamment des chances de succès.

L’offensive électorale de Stoiber pour le scrutin du 22 septembre se résume en quelques mots: travail, rigueur, famille. À cela s’ajoutent ses promesses de diminuer les impôts, les charges sociales ainsi que le chômage, de redonner du lustre à l’armée en prise à une profonde crise financière, d’augmenter les subventions aux emplois peu rémunérés, tout en faisant baisser l’endettement de l’Etat. La quadrature du cercle.

Enfin, Stoiber défend une immigration restrictive, dans la plus grande tradition conservatrice bavaroise. Il doit pourtant se garder de transposer son discours régionaliste au niveau fédéral.

«Culotte de cuir et ordinateur portable», l’image condescendante que se donne la Bavière, ne plait qu’à moitié dans le reste du pays. Stoiber a l’air assez prussien pour interpeller un public nord- ou est-allemand, mais il doit se débarrasser de ces réflexes protectionnistes face aux «profiteurs» de la péréquation financière.

L’homme est-il en mesure de battre Schroeder le 22 septembre? Il est trop tôt pour le dire. «La campagne s’annonce passionnante, relève Andreas Kießling, collaborateur scientifique au Centre de recherche appliquée en politique de l’Université de Munich. L’électeur allemand est devenu extrêmement instable. Son opinion peut complètement changer d’ici le mois prochain.»

«Cela dit, une défaite ne devrait pas porter à conséquence pour Edmund Stoiber, ajoute-t-il. Elle pourrait même provoquer un phénomène de solidarité en sa faveur en Bavière.»

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Christian Vauthier étudie la science politique à Munich.