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Ecole: les garçons toujours à la traîne

Le cliché de la fille sage et du garçon dissipé a la vie dure. A tel point qu’il semble programmer les jeunes gens dans leur parcours scolaire. Une enquête récente menée auprès des jeunes de 15 ans détaille les raisons de ce décalage.

L’équilibre entre les sexes est encore loin d’être acquis dans le parcours scolaire: depuis plus de vingt ans, toutes les études menées à ce sujet constatent que les garçons sont, de manière générale, moins performants que les filles à l’école. Les pays anglo-saxons désignent ce phénomène par le terme de «failing boys».

Il est confirmé avec des résultats chiffrés par le dernier rapport PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves): parmi les élèves se situant en dessous du seuil de réussite dans les trois matières évaluées (mathématiques, sciences, compréhension de l’écrit), six sur dix sont des garçons. Diverses causes ont été évoquées au fil des ans, comme les différences biologiques entre les deux sexes ou un corps enseignant primaire majoritairement féminin. Aujourd’hui, ce sont les stéréotypes sexistes, véhiculés par les enfants eux-mêmes et leur entourage — parents et enseignants –, qui sont mis en avant pour expliquer cet écart. Décryptage en cinq points.

1. Le poids des stéréotypes de genre

D’après une étude de la Haute école spécialisée Nordwestschweiz à Soleure publiée cette année, les stéréotypes sexistes sont à l’origine de l’échec scolaire des garçons. Les chercheurs ont interrogé 872 élèves, garçons et filles, en 8e année à Berne — ce qui correspond à l’âge de 14 à 15 ans – sur leurs comportements à l’école. Selon les garçons sondés, la réussite scolaire serait associée au cliché de la fille sage. Une attitude à l’opposé de l’image qu’ils veulent véhiculer. «Nous avons entendu de la bouche de plusieurs garçons ayant de mauvaises notes qu’un homme doit être dominant et audacieux, rapporte Stefanie Gysin, co-auteure de l’étude. Les filles, en revanche, sont perçues comme étant ambitieuses et conformistes.» Certains comportements sont en effet considérés par ces garçons comme étant typiquement «masculins» ou «féminins». Un point de vue d’autant plus développé à l’âge de l’adolescence, où les jeunes ont tendance à affirmer leur identité à travers leur genre. «Pour ces garçons, la réussite scolaire n’offre aucune reconnaissance, poursuit la chercheuse. Au contraire, pour se faire accepter et être perçu comme ‘cool’ par les autres, il faut cultiver une certaine antipathie vis-à-vis de tout le système éducatif. Ces attitudes suscitent un refus de plus en plus accentué de l’école et entraînent par la suite de mauvaises performances scolaires.»

Ces stéréotypes sont également répandus parmi les filles, comme le montrent les études PISA, qui mesurent tous les trois ans les performances scolaires des jeunes de 15 ans — c’est-à-dire en fin de scolarité obligatoire – dans les pays membres de l’OCDE. Ainsi, seulement 5% des filles interrogées imaginent leur avenir professionnel dans les domaines de l’informatique et de l’ingénierie, car ces domaines sont encore perçus comme «masculins». «Néanmoins, les filles ont une approche plus flexible vis-à-vis des représentations de genre, précise Stefanie Gysin. Elles s’identifient plus facilement au profil de la bonne élève. Contrairement aux garçons, une fille peut gagner en réputation en ayant de bonnes notes.»

2. L’influence du milieu social

«A l’école, l’influence des origines sociales apparait plus forte que la différence de sexe», relève Pierre Bataille, spécialisé en sociologie de l’éducation et en sociologie du genre à l’Université de Lausanne. La difficulté de certains garçons à s’engager dans le système scolaire peut s’expliquer par la persistance de stéréotypes liés à l’origine sociale. «Les métiers de l’industrie, davantage manuels, ont pendant longtemps été considérés comme des emplois masculins et le sont toujours pour certains, poursuit le sociologue. Un garçon qui se destine à un métier manuel, influencé par de nombreux exemples masculins dans sa famille et dans les médias, présente ainsi le risque de se désengager de l’école.» D’après les sondages réalisés dans le cadre des études PISA, les garçons de 15 ans sont deux fois plus susceptibles de déclarer que l’école est une perte de temps.

Même si de nombreux parents, surtout ceux qui viennent de milieux plus aisés, s’en défendent, leurs représentations sexuées ont aussi une influence sur leur façon d’éduquer leurs enfants. Anne-Claire Schumacher, 55 ans, le reconnaît: «Mes deux enfants ont eu leur maturité et ont fait des études universitaires. Mais j’avoue que tout au fond de moi, j’aurais plus difficilement accepté que mon fils ne fasse pas d’études. Car l’homme est appelé être le chef de famille et doit pouvoir exercer un bon métier.» Un cas typique selon Pierre Bataille: les garçons se doivent de réussir dans la vie et assumer leur rôle présumé d’homme, mais ne voient pas la nécessité de se montrer ambitieux à l’école. «Bien qu’ils réussissent moins bien à l’école, les garçons s’en sortent souvent mieux dans leur vie professionnelle que les filles, parce que beaucoup de milieux professionnels sont encore dominés par les hommes.»

3. Le rôle des enseignants

«Ce que l’école obligatoire attend d’un enfant est plus proche du comportement d’une fille», relève Aurélie Babey, 34 ans, enseignante à l’école primaire. Etre assis derrière un pupitre, rester tranquille, se concentrer longuement sont en effet des capacités plus féminines. Les filles sont, éduquées depuis toute petites à être calmes, réfléchies et à s’occuper des autres. «Ainsi, l’élève perturbateur, agité et indiscipliné sera le plus souvent un garçon, poursuit Aurélie Babey. Ce comportement est parfois perçu comme ‘allant de soi’ chez un garçon, mais lorsqu’il s’agit d’une fille, cela devient plus dérangeant pour les adultes.» Pour Anne-Claire Schumacher, qui voyait son fils se tortiller sur sa chaise à l’école primaire, il est évident que les petits garçons rencontrent plus de difficultés car le système scolaire ne leur convient pas. «Je me suis souvent demandée si la mixité partout était une bonne chose et si les garçons ne devaient pas bénéficier d’un enseignement différent, passant davantage par le mouvement.»

Longtemps, il a été supposé que le désintérêt scolaire des garçons était dû au manque de modèles masculins à l’école primaire, où les enseignants sont majoritairement des femmes. «Mais dans le cadre de notre étude, nous n’avons pas constaté l’importance du sexe des enseignants, déclare la chercheuse Stefanie Gysin. Ils sont d’abord perçus comme ‘enseignants’ et non comme ‘homme’ ou ‘femme’.» Francesca Marchesini-Forel, 32 ans, enseignante à l’école primaire, souligne cependant que si le sexe des enseignants n’a pas d’importance, leurs comportements sexués peuvent avoir une influence déterminante: «Même si l’école revendique le contraire, les stéréotypes y sont encore très présents. Ils sont souvent véhiculés par des enseignants qui n’en ont pas conscience.» Pour le sociologue Pierre Bataille, malgré quelques avancées ces dix dernières années, les enseignants ne sont actuellement pas assez formés aux questions de genre.

4. L’impact du temps libre

Dans son rapport «L’égalité des sexes dans l’éducation, aptitudes, comportement et confiance» (2015), l’OCDE consacre une grande partie de son analyse à la question du temps libre. La façon dont les filles et les garçons s’occupent en dehors de l’école aurait une influence directe sur leurs résultats scolaires. «Selon moi, un bon élève se caractérise par la proximité qu’il y a entre sa culture familiale et la culture scolaire, relève l’enseignante Francesca Marchesini-Forel. Il s’agit souvent d’élèves d’un milieu socio-économique plutôt aisé, puisque c’est la classe dominante qui définit arbitrairement la culture scolaire. Ces enfants sont habituellement davantage familiarisés avec une culture de l’écrit.» Et à l’école, l’enseignement de la plupart des matières passe par la lecture et l’écriture. «Ainsi, plus un enfant lit au quotidien, plus il sera à l’aise avec le fonctionnement scolaire», explique le sociologue Pierre Bataille. Or, dans son rapport, l’OCDE relève que les filles lisent beaucoup plus par plaisir que les garçons et que ce loisir leur confère un net avantage. Les garçons seraient eux plus enclins à jouer aux jeux vidéo, une activité qui, toujours selon l’OCDE, pourrait mettre à mal deux des attitudes primordiales de l’apprentissage scolaire: la concentration et l’attention.

Le temps libre doit être aussi consacré à une activité scolaire fondamentale: les devoirs. Les résultats des études PISA démontrent qu’en moyenne, les garçons dédient une heure de moins que les filles à leurs devoirs et que leurs résultats scolaires s’en ressentent. Alors que, lorsque les garçons consacrent autant de temps que les filles à cette tâche, ils creusent l’écart en mathématiques, la matière où ils se montrent généralement meilleurs, et rattrapent leur retard en compréhension de l’écrit. «Le travail assidu est la clé de la réussite pour de nombreux élèves, mais pour que les garçons s’investissent, il faut qu’ils y voient un sens, note la chercheuse Stefanie Gysin. Les garçons ont une approche plutôt pragmatique vis-à-vis de l’école. Il revient aux parents et aux enseignants de leur montrer que le succès scolaire leur est bénéfique et d’ainsi les motiver.»

5. L’accès à la carrière professionnelle

Trop agités lorsqu’ils sont petits, trop influencés par divers stéréotypes sexistes lorsqu’ils grandissent, les garçons ne semblent pas trouver leur place au sein du système scolaire obligatoire. Cependant, malgré les nombreuses études qui font état de leurs mauvaises performances à l’école, personne ne semble s’inquiéter de cette situation. Peut-être à raison, car les différences de performance entre les filles et les garçons s’amenuisent lors des études secondaires et disparaissent lorsqu’ils poursuivent de hautes études. Et même s’ils sont plus nombreux à abandonner formations et études après l’école obligatoire, les garçons s’en sortent souvent mieux que les filles dans leur vie professionnelle, «car la société est encore structurée pour valoriser les carrières masculines», relève le sociologue Pierre Bataille.

Les stéréotypes sexistes, bien que pointés du doigt depuis de nombreuses années, semblent encore très ancrés, de manière inconsciente ou non, dans les mentalités. «En réponse à ces stéréotypes qui persistent, on assiste à une conquête scolaire de la part des filles, qui savent qu’elles doivent se battre davantage si elles veulent réussir leur carrière professionnelle, poursuit Pierre Bataille. Dans ce contexte, il serait peut-être plus pertinent de se focaliser sur l’analyse des facteurs qui poussent les filles à se montrer meilleures à l’école, et non le contraire.»

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ENCADRE

La Suisse, plutôt bonne élève

Même si les performances des garçons suisses sont moins bonnes que celles des filles, ces différences ne sont pas si importantes en comparaison internationale. C’est ce qui ressort de l’enquête de l’OCDE, qui compare depuis 2000 les performances des élèves de 15 ans dans 64 pays dans les domaines des mathématiques, des sciences et en compréhension de l’écrit.

La Suisse se classe dans le Top 15, à la fois dans le classement des performances des élèves et dans celui des différences entre les sexes. Seulement 7% des filles et 9% des garçons n’atteignent pas le seuil minimum des compétences dans les trois domaines. L’écart entre les deux sexes est donc plutôt faible. Au top de ce classement se trouve Shanghai, où seulement 1% des filles et 3 % des garçons n’atteignent pas le seuil de réussite, suivi par Singapour, la Corée du Sud et l’Estonie. Le Qatar se retrouve en queue de peloton avec à la fois beaucoup d’élèves ayant de faibles performances et un grand écart entre les garçons et les filles: 40% de filles et 60% des garçons ne répondent pas au standard minimum.

De manière générale, il apparaît que depuis le début des études PISA, dans tous les pays analysés, les filles ont comblé leur retard dans les domaines des mathématiques et des sciences, tandis que les performances des garçons stagnent; de plus, ils n’ont pas réussi à combler leur retard dans le domaine de la compréhension de l’écrit. La Suisse n’y fait pas exception. Entre 2003 et 2012, les filles ont réduit de 4 points leur retard en mathématique et en sciences. En même temps, l’écart important entre filles et garçons en compréhension de l’écrit n’a pas changé. Il est six fois plus élevé que dans le domaine des sciences et trois fois plus élevé qu’en mathématiques.

Collaboration: Robert Gloy
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.