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De Blocher à Le Pen, le retour des morts-vivants

On les croyait hors-jeu, relégués dans l’infamie de la coulisse. Revoici pourtant, toujours aussi pimpants et arrogants, les vieux dinosaures. Que cache cette sournoise épidémie?

C’est peut-être l’approche de Pâques, mais il flotte comme une forte odeur de résurrection. De miracles désagréables. Comme celui qui a laissé stupéfaits dimanche soir nos voisins français. Personne n’avait vraiment vu venir le coup. On disait le bonhomme usé, ruiné, sucrant les fraises, battant la campagne, pathétique dans son incapacité à quitter la scène, fût-ce au profit de sa propre fille.

Ce Le Pen de plus en plus grotesque et ridicule, remâchant et rabâchant un passé aussi glorieux que poussiéreux, le voilà soudain, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, où il menait la liste Front national pour les élections régionales, affublé d’un score canon: 20 %. Une performance qui dope dans la foulée un parti lui aussi donné pour cliniquement mort et qui se pavane à nouveau à d’indécentes hauteurs: près de 12%.

Dans le même temps, chez nous, que constate–t-on? Une omniprésence retrouvée de l’ancien conducator de l’UDC: non, non, Christoph Blocher n’est pas mort. Enterré, certes, mille et une fois depuis la fameuse humiliation du 12 décembre 2007. Moqué lui aussi pour son incapacité à tourner la page, à digérer la mauvaise rancune, et son obsession à prédire une revanche de plus en plus hypothétique.

A l’intérieur de son propre parti, ils étaient de plus en plus nombreux à ne pas cacher leur soulagement d’être débarrassés de ce type tout de même bien encombrant. Même si, ou peut–être justement parce qu’il les avait créés de toutes pièces. Promus vedettes nationales, supplétifs auréolés au service du grand chef, sans lequel ils seraient probablement restés d’honnêtes, sympathiques et compétents anonymes. L’inspecteur Perrin, le prof d’allemand Freysinger, le trayeur de vaches Toni Brunner. Et tant d’autres.

Et pourtant: Blocher reprend la main, on le voit à nouveau partout. C’est lui qui était à la manœuvre pour tenter de faire retirer à Thomas Minder son initiative sur les salaires abusifs, en échange d’un compromis acceptable ficelé aux petits oignons, grâce au poids et à l’influence d’une piétaille UDC aux ordres.

«Après un passage à vide consécutif à son éviction du Conseil fédéral, le tribun zurichois donne l’impression d’être redevenu le vrai et l’unique patron de l’UDC. C’est lui qui définit les grandes orientations et qui les endosse», écrit l‘éditorialiste parlementaire du «Temps», D.S. Miéville. Qui voit même Blocher jouer un rôle majeur dans la campagne de 2011.

Une campagne promettant d’être sanglante, tant les lots en jeu paraissent alléchants: au moins deux sièges branlants au Conseil fédéral, deux sugus bons à prendre, ceux d’Hans-Rudolf Merz — vraiment mort, lui — et d’Eveline Widmer Schlumpf, plombée par un parti fantomatique. Quant à Blocher ressuscité, «les troupes suivent avec enthousiasme. Que pourraient-elles faire d’autre, du reste, que de se féliciter du retour du génial leader?»

On peut quand même s’interroger, multiplier les conjectures. Du genre, la crise économique qui favorise souvent l’attirance pour la droite dure, la nostalgie pour la figure du chef dans un monde où la navigation à vue, sans cartes, boussoles, principes ni capitaine, est devenue la loi. Ou encore la fragilité, voire la nullité des successeurs, des jeunes pousses qui ne tiennent pas la comparaison et favorisent par contraste l’incrustation ou le retour des vieux débris et de leurs astuces surannées.

Il n’ y a pourtant pas que des désavantages dans ce retour des morts-vivants, cette incapacité des anciennes gloires à renoncer aux jolis feux de la rampe. Chacun peut même facilement en faire son profit. Si l’on en croit en tout cas la pique lancée par le coureur de formule 1 Jenson Button à l’ancêtre et multi-couronné Michael Schumacher, lors des essais du grand prix de Bahrein marquant son grand retour à la compétition: «Je suis content que tu sois revenu. Grâce à toi, je me sens plus jeune!»