Une retraite au soleil? Ils sont des millions à en rêver. Des milliers à être parvenus à concrétiser un rêve qui, à l’épreuve de la réalité, se mue quelques fois en cauchemar.
La pub est alléchante: ciel bleu, piscine au premier plan, mer en arrière fond, un couple aux cheveux argentés prend l’apéro sur la terrasse de son pavillon. Quel rêve, vivre toute l’année en vacances, davantage même, le restant de sa vie! A l’âge de la retraite, ils sont nombreux à le caresser.
Ainsi Yvonne et Fernand, deux Neuchâtelois de 65 et 67 ans, ont vécu chichement toute leur vie pour s’accorder le luxe de finir leurs jours au soleil. Ils avaient fait leurs calculs, transformé en euros les francs de leur AVS. Une petite villa dans un lotissement à deux kilomètres de la Grande Bleue était à leur portée. «Vous serez bien contents de venir pendant les vacances», répondaient-ils à leurs deux filles, sans trop écouter leurs mises en garde. Il y a cinq ans, ils ont mis le cap au sud. Fini la grisaille helvétique, ils allaient prendre le soleil sur la Costa Dorada.
Ils sont plus de six mille retraités suisses à avoir fait le choix de l’Espagne, de ses petits prix et de son climat. Leur modeste pension allait s’y transformer en retraite dorée. Ils allaient pouvoir s’offrir femme de ménage, coursier et professeur de fitness. Un miracle possible avant l’arrivée d’un facteur pas prévu dans les brochures publicitaires: l’inflation.
L’explosion des coûts de la vie est en train de mettre fin à l’héliotropisme massif des retraités européens. Aujourd’hui, Suisses, Allemands et Britanniques (163’000 personnes de plus de 65 ans en provenance de l’Union européenne résident en Espagne) aspirent à reprendre la direction du nord. Quitte à brader leurs châteaux en Espagne – la crise immobilière est là aussi – ils reviennent à la case départ.
Yvonne et Fernand sont de retour. Malheureux? Pas vraiment. Contrairement à Florence, l’héroïne de «La Punta», le roman d’Yvette Z’Graggen qui dépeint la vie d’un couple expatrié à La Punta de Tarifa, Yvonne ne s’est jamais sentie vraiment chez elle dans son nouveau décor ensoleillé. Deux petits-enfants sont venus agrandir sa famille et «n’être une grand-maman qu’au téléphone» l’attristait. Sans la survenue des problèmes financiers, elle aurait vraisemblablement tu sa peine. Fernand aussi est ravi de retrouver ses amis pêcheurs. «L’eldorado n’est peut être pas où on croyait», commente-t-il.
Le retour n’est pas toujours aussi bien vécu. En ce moment, des milliers de retraités britanniques installés en France voient leur rêve brisé par le plongeon de leur pension d’un tiers de sa valeur. Le Sunday Times s’est fait l’écho de ce phénomène en titrant «L’exode de France des Britanniques fauchés».
Le marché du soleil pour les retraités connaît un passage nuageux. Mais déjà un nouvel eldorado se profile. C’est au tour du Maroc de dérouler le tapis rouge aux retraités en quête de paradis terrestre. Combien seront-ils à craquer?
«Que ce soit pour un rapprochement familial, une plus grande proximité des services et des commerces, un logement mieux adapté, ou à cause de problèmes de santé, les retraités déplacent leurs lieux de vie dans les régions qui répondent le mieux à leurs attentes. Ils se dirigent de plus en plus vers des destinations moins “prestigieuses”, tordant le cou à certaines idées reçues», constate Stéphane Alesi dans un article intitulé «Les migrations des retraités: La Côte n’a plus la cote ».
Après la lecture du dernier roman de Pascal Garnier, ce talentueux investigateur des travers contemporains, on est dissuadé à vie de finir ses jours dans «une résidence senior, bien protégée et en sécurité permanente». Dans «Lune captive dans un oeil mort», Martial et Odette viennent d’emménager dans une telle résidence. Un huit clos infernal ne tardera pas à s’y jouer. Décrit avec un délicieux humour noir, c’est le portait d’une génération à qui l’on vend le bonheur comme une marchandise que l’on découvre. Une fin de vie à l’épreuve d’un redoutable piège à rêves.
