LATITUDES

Richter, un formidable appétit sexuel et des tremblements de terre

La vie du célèbre chercheur fut à l’image des séismes qu’il étudia, faite de tensions occasionnant des fissures qui auraient pu l’engloutir. Portrait.

Mais qui était donc ce Monsieur Richter dont tout le monde entend parler dans des circonstances malheureuses? En surface, un scientifique qui a révolutionné la sismologie. Sous la surface, un ardent nudiste à la vie sexuelle agitée. Une biographie vient ébranler l’image du chercheur californien.

Qu’un tremblement de terre se produise et c’est son nom qui surgit. Combien sur l’échelle de Richter? Le 12 mai dernier, à 14 heures 28, au Sichuan, la terre a tremblé durant deux minutes. La secousse a tout ravagé sur une surface de 100’000 km2.

Elle atteignait 7,9 sur l’échelle de Richter. De nombreuses répliques de plus de 6 ont été enregistrées dans les jours suivants.

L’échelle de Richter est, depuis 1935, l’échelle sismique de référence. Elle évalue l’énergie libérée lors d’un séisme. Plus le séisme a dégagé d’énergie, plus grande est la magnitude du tremblement de terre. Une magnitude logarithmique (les ondes d’un séisme de magnitude 6 ont une amplitude 10 fois plus grande que celles d’un séisme de magnitude 5).

Avant l’arrivée de Richter, on se référait à l’échelle de Mercalli, très subjective, puisque fondée sur l’étendue des dégâts observés.

La passion de Charles Richter pour la sismologie remonte à un après-midi de mars 1933, à 17h54 précisément. Agé de 32 ans, Richter est alors assistant au laboratoire Seismo Lab à Pasadena en Californie. Soudain, une violente secousse le jette au sol. Les murs de l’établissement se mettent à trembler.

Le chercheur garde la tête froide, se précipite vers son sismographe et observe, impuissant, un tremblement de terre meurtrier. Un tournant vient de se produire dans son existence: il se vouera désormais corps et âme à la sismologie.

Jusqu’ici, les biographies de Richter le réduisaient à «un homme à lunettes qui passa sa vie à enregistrer et analyser des secousses telluriques». La biographie de Susan Elisabeth Hough («Richter’s Scale: Measure of an Earthquake, Measure of a Man»), qui fut son élève avant de devenir elle-même chercheuse en sismologie, nous fait ressentir les secousses existentielles de ce personnage fort excentrique.

L’ouvrage de Susan Rough décrit «le craquèlement du paysage mental» d’un savant solitaire, bizarre, impassible face aux turbulences. La rumeur lui attribuait, il est vrai «un prodigieux appétit sexuel». Sa vie fut à l’image des séismes qu’il étudia, faite de tensions occasionnant des fissures qui auraient pu l’engloutir. L’auteur pose un diagnostic: Richter souffrait du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme.

Après le divorce de ses parents, Richter fut élevé dans un milieu essentiellement féminin (mère, grand-mère, sœurs). Sa sœur aînée Margaret Rose avait des talents de poète qu’elle exerçait lorsqu’elle n’était pas en hôpital psychiatrique. Y eut-il passion incestueuse? La question demeure ouverte.

A la surface, Richter semblait mener une existence «normale». Après des études à l’Université de Stanford, il perdit cependant un emploi dans un laboratoire de chimie car «sa nervosité le faisait trembler». Il quitte l’université, passe un an en milieu hospitalier pour une thérapie psychiatrique. Avant de réintégrer le monde académique, il exerce quelque temps différents petits boulots.

Il écrit des centaines de poèmes et, dans un journal intime débuté à cette époque, il mentionne des accès de pleurs injustifiés, son incapacité à susciter l’admiration de sa mère, son côté efféminé. Resté puceau jusqu’à 27 ans, il rencontre alors Lilian Brand, qui porte le même prénom que sa mère. Il l’épouse.

Ensemble, ils rejoignent la Fraternité Elysia, une communauté nudiste. Un choix singulier dans l’Amérique puritaine des année 1930 qui ne comptait que trois communautés de ce genre. Lui parle d’un effet aphrodisiaque.

Drôle de couple. Lilian se met à l’écriture et voyage en compagnie d’une amie. La correspondance échangée entre les époux met en lumière une lesbienne attirée par la facette féminine d’un mari qu’elle aurait épousé pour faire une expérience originale et trouver matière à un livre.

Richter randonne seul dans la nature, correspond avec une certaine Kim, rencontrée dans un camp nudiste, lui fait l’éloge de l’amour à trois. Les échecs, Mozart et les étoiles le distraient.

Dans leur villa, un sismographe trônait au milieu du salon. Ils n’eurent pas d’enfants. A la mort de sa femme, en 1972, il poursuivit des relations «compliquées» avec de nombreuses femmes.

Officiellement, Richter est bien sûr le père d’une échelle éponyme mais aussi l’auteur d’ouvrages de référence en sismologie, un éminent professeur d’université doublé d’un talentueux consultant.

En fin de vie, la télévision le transforma en une véritable star de la vulgarisation scientifique qui portait parfois deux cravates — seul détail révélateur d’un personnage à l’intense activité sismique sous-jacente.