LATITUDES

«Le vieillissement de la population est le défi de santé numéro un»

En seize ans à la tête de l’EPFL, Patrick Aebischer a transformé l’institution en une référence de renommée internationale où convergent l’ingénierie, les nouvelles technologies et les sciences de la vie.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans less expensive cialis.

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Lorsqu’il prend les commandes de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Patrick Aebischer veut renforcer la réputation de l’université, développer les partenariats avec les entreprises et proposer davantage de cursus autour des sciences de la vie. Aujourd’hui actif dans le capital-risque, le Fribourgeois d’origine livre ses réflexions sur l’EPFL et sur le secteur de la santé qu’il a contribué à transformer.

En 1989, vous travailliez au CHUV dans la recherche médicale. Aviez-vous conscience de l’ampleur de l’évolution du secteur en trois décennies?

Patrick Aebischer: Le domaine de la santé a totalement changé, tout s’est complexifié: les patients ont aujourd’hui des polypathologies et leur durée de vie s’est allongée. L’espérance de vie a ainsi doublé en 150 ans. Le vieillissement est devenu le défi numéro un du secteur de la santé. La santé est aussi plus précise que ce qu’on imaginait à l’époque. Grâce aux progrès de la recherche, le génie génétique est désormais accessible. Il y a 30 ans nous avions déboursé trois milliards d’euros pour le séquençage d’un être humain. Aujourd’hui le coût est évalué à moins de 1’000 francs. Ainsi, nous serons bientôt tous séquencés, ce qui nous permettra de connaitre nos facteurs de risque à telle maladie. C’est révolutionnaire!

Vous avez durablement changé le visage de l’EPFL, notamment avec l’introduction du cursus des sciences de la vie. Pourquoi ce choix?

Il s’agit d’un cursus essentiel car nous avons besoin d’ingénieurs qui connaissent les mathématiques, la physique mais aussi la biologie. La santé actuelle a besoin de cette polyvalence entre ingénierie et physiologie. Aujourd’hui près de 50% des recherches menées à l’EPFL concernent le domaine de la santé. On retrouve notamment la médecine des «parties de rechange» puisque plus de 50% des personnes de plus de 60 ans ont un implant de remplacement. Grâce à l’ingénierie, les médecins peuvent désormais quasiment tout changer: d’une valve cardiaque à une hanche en passant par l’appareil auditif. C’est dans ces interfaces entre cerveau, physiologie et ingénierie que l’on va observer de grandes évolutions.

De nombreuses start-up émergent de l’EPFL. Comment faire pour qu’elles restent ici?

Le principal défi réside dans notre capacité à les faire grandir en Suisse. Si nous sommes performants dans la phase de création des start-up, nous avons des lacunes dans celle de la croissance. Pour rester dynamiques, nous avons tout intérêt à les maintenir ici afin que le pays enregistre un retour sur investissement. En effet, le secteur public finance massivement la recherche. Si les start-up se pérennisent dans la région, elles vont engendrer de la valeur ajoutée en créant de nouveaux emplois notamment.

Une solution pour les garder se trouve dans les fonds d’investissement: si les entreprises ont accès à des capitaux importants elles pourront rester. Le processus de test clinique dans la santé est particulièrement long et onéreux. Il faut donc que nos start-up aient accès à du capital risque puis à des fonds de croissance pour se pérenniser en Suisse.

C’est d’ailleurs votre activité principale aujourd’hui. Pourquoi cette reconversion?

Il s’agit d’un choix logique car une bonne université doit avoir un bon enseignement, une bonne recherche mais doivent également être entourées de start-up émanant de cette activité de recherche. Aujourd’hui, je travaille avec NanoDimension, un fond de capital-risque spécialisé dans le secteur de la santé. Jusqu’ici, nous avons levé 335 millions de francs de fonds et investit dans des start-up situées à l’interface de l’ingénierie et les sciences de la vie.

Je trouve que ce soutien financier au développement des entreprises manque cruellement en Suisse. Il est pourtant très important. Lorsque je présidais l’EPFL, j’ai travaillé à promouvoir des investissements en capital-risque. A mon arrivée il s’élevait à environ 3 millions de francs. Quand je suis parti seize ans plus tard, il était passé à 300 millions, avec plus des deux tiers dans le domaine des sciences de la vie.

Les progrès technologiques soulèvent des questions éthiques et sociales. Comment abordez-vous cette problématique?

On ne peut pas arrêter le progrès technologique, mais il faut évidemment l’encadrer. Dans les questions de médecine génique, on touche à l’essence même de l’être humain. Il faut donc garder à l’esprit les considérations éthiques. Le danger serait de faire avancer la technologie jusqu’à un point de tension où la capacité sociologique, par nature plus lente, serait dépassée. Par exemple: quelles seront les conséquences de vivre sur quatre, voire cinq, générations? Ces problématiques sociales doivent être réinventées. Paradoxalement, les limites au développement scientifiques seront surement davantage d’ordre sociétales que technologiques. Les progrès scientifiques font également face à des problématiques de gouvernance politique. La mise en place de régulation est beaucoup plus longue que les progrès techniques.

 Quels sont les principaux défis de la santé de demain?

Le vieillissement, c’est certain. Il faut se préparer au fait que la population vive plus longtemps, avec le challenge qu’elle vieillisse bien. A l’époque, avoir quarante ans c’était vivre âgé. Aujourd’hui, ce n’est pas la moitié de l’espérance de vie. A 65 ans, je ne me sens pas encore très vieux (rires)! Aujourd’hui, la population la plus croissante est celle des centenaires. Je ne crois pas aux théories d’éternité, mais la science va nous permettre de rajouter 10 à 20 ans à notre espérance de vie ces prochaines années. L’objectif est d’accompagner cette augmentation par un accroissement des capacités physiques et mentales afin d’améliorer l’état de santé mais aussi le bien-être. Pour cela il faut travailler sur les 4 piliers fondamentaux du vieillissement: la mobilité, autrement dit la capacité d’être indépendant, la dimension cognitive, la vision et l’audition.

Puis, la santé de demain doit impérativement passer par la prévention personnalisée. Les progrès technologiques font que nous sommes évalués en permanence, par nos montres ou nos prothèses, qui mesurent de notre rythme cardiaque à notre tension, en passant par le nombre de pas, etc. Ces outils accumulent des données qui peuvent servir à la prévention qui serait d’autant plus efficace si elle était personnalisée. Par ailleurs, le vieillissement de la population risque d’augmenter encore les coûts de la santé. Il faudra donc se demander si la société est prête à consacrer 30% du PIB à ce poste, soit plus du double d’aujourd’hui.

A quoi ressemblera la santé dans 30 ans?

Elle sera complètement différente, surement personnalisée, avec un rôle majeur joué par l’utilisation de données. Grâce aux mesures biométriques, les patients seront les premiers acteurs de leur santé. En parallèle, la technologie permettra d’augmenter les capacités humaines. Au niveau de la Suisse romande, la Health Valley devrait s’agrandir au-delà des biotechnologies et de la pharmacologie. La santé ce n’est plus seulement une pilule qu’on ingère mais passe aussi par la prévention et la stimulation psychologique. Des acteurs comme Nestlé Health Science qui se focalise sur la nutrition, ou encore l’industrie des jeux vidéo dans la stimulation de l’activité cérébrale peuvent avoir une portée supplémentaire à la santé.

A mon sens, le grand challenge du XIXème siècle sera de nourrir la technologie et le vieillissement, autant physiquement qu’intellectuellement. Nous travaillerons peut-être moins grâce aux robots, mais nous devrons alors entretenir notre cerveau. Le prochain siècle sera celui des humanités et des sciences sociales et l’Europe à un rôle à jouer de par son riche héritage historique et culturel.