Elle vit à Ramallah. Elle a raté son bac et elle doit suivre des cours de rattrapage pour le repasser cette année. Mais des tanks bloquent la rue du lycée.
Les tanks sont maintenant à cent mètres devant nous. Les soldats israéliens crient et nous montrent d’un geste nerveux l’immense détour à faire pour rejoindre l’autre côté de la rue. A mes côtés, Rihab continue de marcher, sans regarder ni le char qui se dirige sur nous, ni le soldat qui braque sa mitraillette dans notre direction.
«Je suis chez moi, c’est mon pays, c’est mon chemin pour aller à l’école. Oui, bien sûr, ils peuvent quand même tirer. Mais je n’ai pas peur.» Comme si la justice la protégeait. Comme si le fait d’être dans son bon droit l’empêchait d’avoir peur.
Rihab ab el Hafid, 18 ans, est une Palestinienne têtue de Ramallah. Elle emprunte tous les jours cette route qui la mène de chez elle à son école. Ses copines, elles, se sont résolues à prendre le taxi et à faire le détour quotidiennement.
«Je préfère prendre le risque de me faire tuer que de leur obéir.» Rihab veut ignorer la présence des soldats et de leur artillerie.
Nous sommes maintenant à la hauteur des chars. «Il ne faut pas leur prêter attention, c’est tout.» Un peu plus loin, Rihab salue chaleureusement le vendeur du magasin de bonbons chez qui elle s’était réfugiée un jour que les soldats se montraient particulièrement agressifs. «Cette fois là, c’est vrai, j’ai eu peur qu’ils me tirent dans le dos. Si je dois mourir, je préfère recevoir la balle dans la poitrine.»
Rihab vit à Ramallah depuis quatre ans, après avoir passé son enfance en Algérie. «Les deux premières années, c’était bien ici. On pouvait bouger, les habits n’étaient pas trop chers, je me concentrais bien à l’école.» Aujourd’hui, elle doit prendre des cours de rattrapage pour repasser le bac qu’elle a raté l’an dernier. Elle se plaint du coût de la vie, et surtout d’avoir si peu de liberté de mouvement. «C’est pour ça que je passe devant leurs tanks. Si tu tiens compte de leur présence, tu leur donnes raison.»
Il y a un peu plus de deux ans, quand elle pouvait «encore bouger», elle est allée avec son père voir la maison que ses grands-parents ont dû quitter en catastrophe en 1948 à Haifa. C’est une juive irakienne qui leur a ouvert la porte. Ils lui ont expliqué que leur famille avait habité là. Que c’était leur maison. «La femme a été très gentille. Elle a compris. Elle nous a laissé entrer et a dit «Faites comme chez vous.»
Le rêve de Rihab, c’est de pouvoir un jour vivre dans cette maison, elle, ou ses enfants, ou ses petits-enfants. «Que cette maison soit restée intacte au milieu d’une quinzaine de nouveaux bâtiments, c’est comme si Dieu avait voulu qu’on la retrouve.»
Même si elle prie cinq fois par jour et respecte le ramadan, Rihab ne se considère pas comme une personne très pratiquante. Elle porte des jeans moulants et met joliment en évidence les boucles de ses cheveux. «Mais un jour, je porterai sans doute le voile. Je ne sais pas encore quand. Peut-être demain, peut-être quand je serai grand-mère.»
Sa force lui paraît aller de soi. «Je suis Palestinienne et fière de l’être», dit-elle comme pour expliquer son aplomb. Elle a pris l’habitude de calmer sa mère à chaque fois que les avions israéliens bombardent Ramallah. «Je lui dis de ne pas crier, pour ne pas affoler davantage mes petits frère et sœurs.» Bien sûr, sa mère ne sait pas qu’elle passe tous les jours devant les chars de Tsahal.