TECHNOPHILE

Chasseurs de planètes

Les chercheurs suisses Michel Mayor et Didier Queloz ont découvert la première planète hors de notre système solaire il y a 24 ans. Ils viennent de recevoir le Prix Nobel de physique pour leurs travaux. Dossier en texte et en images sur cette avancée scientifique majeure.

«Nous sommes actuellement à un moment charnière, confie Suzanne Aigrain, professeure en astrophysique à l’Université d’Oxford. En nous donnant les moyens, nous pouvons honnêtement dire qu’il nous sera possible de découvrir d’autres formes de vie dans l’univers d’ici vingt ou trente ans si elles existent. En effet, il n’existe aucune limite technologique ou scientifique fondamentale.»

Tout a commencé en 1995. Des astrophysiciens de l’Observatoire astronomique de l’Université de Genève découvraient ce que seuls les auteurs de science-fiction avaient pu décrire jusque-là: une exoplanète. «L’existence de 51 Pegasi b, orbitant autour d’une autre étoile, a ouvert d’incroyables perspectives en astronomie, se remémore Michel Mayor. Il s’en est suivi un engouement énorme.» A l’époque, l’existence même d’une planète de grande taille à cette distance d’une étoile n’était pas compatible avec les théories expliquant la formation des planètes de notre système solaire. Les scientifiques ont dû revoir leur modèle.

Aujourd’hui, l’existence de près de 2’000 exoplanètes a été confirmée grâce à la mise au point de méthodes de détection de plus en plus performantes. En 2004, le télescope HARPS installé à l’Observatoire européen austral (ESO) au Chili repousse les limites. «Il atteint une précision aujourd’hui encore inégalée», affirme Suzanne Aigrain. Peu après, les scientifiques franchissent une nouvelle étape et passent à la recherche d’exoplanètes depuis l’espace grâce aux satellites des missions CoRot et Kepler.

Contrairement aux observations depuis le sol qui sont soumises aux effets de la turbulence atmosphérique, les satellites offrent des mesures très précises et ont jusqu’à présent permis la détection de près de 5’000 potentiels corps célestes, la plupart en attente de confirmation. Mais tout cela n’aurait pas été possible sans la révolution numérique. «L’augmentation de la puissance des ordinateurs et de la capacité de stockage a permis d’automatiser l’analyse des données et d’archiver les résultats, deux opérations cruciales», rappelle Suzanne Aigrain.

La recherche d’exoplanètes n’est pas qu’une fantaisie des astronomes. «Sur le long terme, les connaissances que nous aurons acquises nous permettront de mieux comprendre notre propre planète, son processus de formation et son évolution future», insiste Suzanne Aigrain. Mais pour cela, les scientifiques devront en apprendre davantage sur la taille, la masse et la composition de l’atmosphère de ces objets célestes. C’est l’objectif du télescope spatial CHEOPS dont le lancement est prévu pour 2017 et qui va permettre de déterminer leurs caractéristiques de façon très précise.

Aujourd’hui, le plus grand défi est d’observer directement ces objets lointains. «A l’heure actuelle, les principales techniques de détection sont indirectes, c’est-à-dire que nous étudions l’étoile autour de laquelle les exoplanètes orbitent et non les planètes elles-mêmes», explique Christophe Lovis de l’Université de Genève. Une seule méthode permet d’observer ces astres: l’imagerie directe. En avril dernier, cette technique a permis à une équipe européenne de détecter directement la lumière réfléchie par 51 Pegasi b.

Si l’instrumentation qui permettra de confirmer s’il existe en effet de la vie ailleurs n’existe pas encore, l’imagerie directe est probablement la seule technique qui pourrait un jour fournir assez d’informations pour en avoir la certitude.

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«Il a fallu être très prudent avant d’annoncer notre découverte»

Le pionnier Michel Mayor a fondé tout un champ de recherche en prouvant l’existence de la première exoplanète. Aujourd’hui retraité, il continue à vivre sa passion pour les corps célestes.

Comment cette aventure a-t-elle commencé?

Pour être honnête, c’est un heureux hasard. Adolescent, j’adorais les sciences, mais sans préférence particulière. J’ai d’abord étudié la physique à l’Université de Lausanne. Lorsque j’ai terminé mon master, un poste de doctorant s’est libéré en astronomie à l’Observatoire de Genève. Alors j’ai accepté sans trop me poser de questions.

En 1970, j’ai fait une rencontre inattendue, celle de Roger Griffin, un astronome anglais de l’Observatoire de Cambridge. Il avait réalisé un nouveau type de spectrographe pour la mesure des vitesses radiales. Suite à notre discussion, j’étais certain de réussir à obtenir une plus grande précision et efficacité. Alors, je me suis jeté à l’eau, même si beaucoup ont souri de voir un théoricien comme moi se lancer dans le domaine de l’instrumentation.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez fait cette fantastique découverte?

J’ai été pris de doutes, car il est toujours difficile d’interpréter les phénomènes observés et d’être sûr à 100% qu’ils sont dus à une exoplanète. Dans les années 1990, l’astronomie n’avait pas très bonne réputation. Plusieurs personnes avaient déjà annoncé à tort la découverte d’une exoplanète.

Il y avait donc une méfiance importante de la part de la communauté scientifique. Il fallait être particulièrement prudent et critique. C’est pourquoi, avec Didier Queloz, nous avons décidé d’attendre la saison suivante pour observer à nouveau 51 Pegasi b avant de l’annoncer officiellement.

Pourquoi cette quête fascine-t-elle autant les scientifiques?

Cela fait partie de la curiosité de l’Homme, ce besoin de situer la vie humaine par rapport au reste de l’Univers. Dans l’Antiquité grecque, on s’intéressait déjà à la multiplicité des mondes. Depuis maintenant vingt ans, nous avons la confirmation qu’il existe des planètes extrasolaires et l’étude de leurs caractéristiques pourra nous aider à comprendre le processus de formation des systèmes planétaires, en particulier du système solaire.

Qu’en est-il de la vie ailleurs? Certains envisagent sa découverte d’ici vingt ou trente ans.

C’est bien sûr une des principales raisons de l’effervescence autour des exoplanètes. Mais une telle recherche suppose que l’on est capable d’analyser leur composition chimique et d’identifier des signatures spectrales indiquant le développement de la vie. C’est un défi fantastique, mais il ne faut pas sous-estimer le travail qu’il reste à faire. Il me semble que vingt ou trente ans est le temps minimum nécessaire au développement d’instruments capables de répondre à cette question.

Quels sont vos projets aujourd’hui?

Le statut de professeur honoraire me permet de continuer la recherche. Actuellement, j’étudie les propriétés statistiques des planètes, des données très utiles pour comprendre la physique de la formation planétaire. Cela me permet aussi de rester en contact avec mes collègues avec qui j’ai énormément de plaisir à travailler. Le reste du temps, je voyage à l’étranger pour participer à des réunions scientifiques et donner des conférences publiques. Dernièrement, j’étais au Japon où j’ai reçu le prix de Kyoto, une récompense internationale décernée aux personnalités qui ont apporté une importante contribution à la science. J’ai de la peine à descendre du train.

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Quatre méthodes de détection

Transit planétaire

Observations indirectes par télescope spatial par l’analyse de l’intensité lumineuse.

Lorsqu’une planète passe exactement entre la Terre et son étoile hôte, elle occulte une partie de la lumière émise par cette dernière. Une observation faite de façon périodique permet de déterminer la présence d’une planète orbitant autour de cet astre. La découverte de la première exoplanète en transit a été réalisée en 1999 grâce à un télescope terrestre. Depuis, les missions spatiales CoRot et Kepler ont été lancées et permettent de détecter des planètes aussi petites que la Terre et d’en déterminer leur diamètre. En combinant cette information avec celle sur la masse obtenue grâce à la vitesse radiale, il est possible d’en calculer la densité.

Vitesses radiales

Observations indirectes réalisées depuis le sol par l’analyse du spectre lumineux.

En raison de l’attraction gravitationnelle, les planètes induisent un mouvement d’oscillation régulier de l’étoile autour de laquelle elles orbitent. Les fluctuations observées étant minimes, cette méthode permet principalement de détecter des planètes massives et proches de leur étoile. Les astronomes envisagent d’utiliser la méthode de la vitesse radiale dès la moitié du XXe siècle mais il faut attendre près de cinquante ans pour que les instruments de mesure soient assez performants pour donner des résultats, dont la découverte de la toute première exoplanète en 1995.

Microlentille gravitationnelle

Observations indirectes réalisées depuis le sol par l’analyse de l’intensité lumineuse.

Un alignement parfait entre deux étoiles et la Terre est nécessaire pour obtenir l’effet de microlentille. Le champ gravitationnel de l’étoile se trouvant au centre dévie les rayons lumineux de l’étoile la plus lointaine, un phénomène de lentille qui va rendre cette dernière plus brillante. Si une planète tourne autour de l’astre central, elle va provoquer une irrégularité caractéristique dans l’effet observé. Développée dans les années 1990 sur la base de la théorie de la relativité générale, cette méthode présente l’énorme avantage de pouvoir détecter des planètes de petite taille et relativement éloignées de leur étoile.

Imagerie directe

Observations directes du spectre des planètes grâce à l’occultation de la lumière de l’étoile

En cachant la lumière émise par l’étoile hôte, il est possible d’observer soit la lumière de l’étoile que la planète reflète (effet miroir), soit son rayonnement infrarouge thermique. Le premier cliché d’une exoplanète a été réalisé en 2004 grâce au Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral (ESO). L’imagerie directe est de loin la méthode la plus intéressante en raison du nombre important d’informations qu’elle fournit, notamment la composition chimique de leur atmosphère et de leur surface. Elle est néanmoins très sensible aux turbulences atmosphériques terrestres.

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Les exoplanètes à connaître

La première découverte
Nom: 51 Pegasi b
Découverte: 1995
Méthode: Vitesses radiales
Constellation: Pégase
Distance de la terre: 51 années-lumière
Période orbitale: 4 jours
Taille: inconnue
Masse: Environ 150 MÅ

La plus proche de la Terre
Nom: HD 219134b
Découverte: 2015
Méthode: Vitesses radiales
Constellation: Cassiopée
Distance de la terre: 21 années-lumière
Période orbitale: 3 jours
Taille: 1.6 RÅ
Masse: 4.5 MÅ

La plus petite et la plus légère
Nom: Kepler-138b
Découverte: 2014
Méthode: Transit
Constellation: Lyre
Distance de la terre: 200 années-lumière
Période orbitale: 10 jours
Taille: 0.52 RÅ (taille de Mars)
Masse: 0.067 MÅ

«Tatooine», la planète à 2 étoiles
Nom: Kepler 16b
Découverte: 2011
Méthode: Transit
Constellation: Cygne
Distance de la terre: 200 années-lumière
Période orbitale: 229 jours
Taille: 8.5 RÅ  (taille de Jupiter)
Masse: 105.8 MÅ  (masse de Saturne)

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans le magazine Technologist no 7 (janvier 2016).