Trente-deuxième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario-catastrophe que le Forum de Davos a évité de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.
Pendant la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’un côté, le jeune Japonais Tsutsui mime exactement les gestes d’un terroriste qui ferait sauter un relais de téléphonie mobile. De l’autre, le commandant Moritz croit bien faire en déclenchant une avalanche préventive pour sauver l’honneur de Davos.
Et finalement, un invité au Forum, Max, découvre qu’il n’est pas vraiment amoureux de la directrice de l’hôtel et qu’il est le père de Tsutsui.
Lire ici le début du récit.
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Chapitre 32.
Puisque Max a décidé de ne pas tenir sa conférence, il n’a plus rien à faire par ici. Il a pris son petit déjeuner dans sa chambre pour ne pas devoir affronter les gens qui se prennent pour ses collègues. Il a bouclé sa valise, évité de mettre une cravate. Il a voulu téléphoner à Frénésie pour prendre congé, mais son portable ne répond pas, malgré plusieurs essais.
Dommage, il aurait voulu rester en bons termes avec elle. A la réception, il remarque plusieurs clients en train de payer. Il n’est donc pas le seul à s’enfuir. Pendant tout le temps qu’il est au comptoir, il espère voir apparaître Frénésie. Elle doit être occupée ailleurs.
Les clients promènent leur yeux affairés sur tout ce qui les entoure. Max s’étonne de leur agitation. L’un dit:
– Heureusement que l’avalanche a été arrêtée par les arbres.
– Si même à Davos maintenant, on doit craindre les éléments naturels…
La réceptionniste dit ne pas avoir besoin de la carte de crédit de Max:
– Plus aucune connexion informatique ni téléphonique. C’est à cause de l’avalanche. Nous vous enverrons la facture, Monsieur vom Pokk.
Elle lui propose encore un taxi, mais il faudrait l’attendre assez longtemps. Il préfère descendre à pied jusqu’à la gare, prendre le train par Landquart. Ce soir il dormira à Zurich, la seule ville de ce pays.
Tous les trottoirs ont été salés au petit matin. Malgré la forte pente, ça ne glisse pas, pour les roulettes de la valise, ce n’est pas idéal. Max passe devant le musée Kirchner, puis devant la pizzeria Neue Liebe qui signifie nouvel amour. Sans mélancolie il continue jusqu’à la place de l’église d’où il prend congé de la tour de quatre-vingt mètres, torsadée et recouverte de tavillons de bois.
De là jusqu’à la gare, la pente est plus raide. Enfant, il descendait par là à plat ventre sur sa luge. Ils appelaient ça «faire la gre», se mettre en position de grenouille. Une luge de bois, appelée d’ailleurs Davos. Il voudrait bien savoir ce qu’elle est devenue, sa Davos.
De tous les hôtels de la rue principale sortent des messieurs comme lui, tirant leurs valises à roulettes chancelantes en direction de la gare. Leurs beaux souliers de cuir vernis ne s’attendaient pas à cette promenade dans la neige.
Sur leur visage, Max remarque une impatience à la limite de l’angoisse. On dirait l’exode collectif d’une force de travail qualifiée mais surnuméraire. Tous jettent des regards inquiets vers le grand cône de déjection de l’avalanche qui a défoncé la forêt sur plus d’un tiers de sa hauteur.
Max arrive en vue de la gare. Les forces de sécurité sont là en masse, tout en noir avec des vestes marquées Polizei, des fusils lance-grenades, des boucliers d’osier ronds, des barbelés, des chiens et des canons à eau. Tout leur attirail sur la ligne de démarcation. Il va falloir montrer patte blanche pour passer de l’autre côté.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le trentième-troisième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.