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31. Où l’on assiste au geste irrémédiable d’un commandant

Trente et unième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Il s’agit du scénario-catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé en délocalisant sa prochaine édition à New York.

Pendant la nuit qui précède le Forum de Davos chacun se prépare. D’un côté, le jeune Japonais Tsutsui mime exactement les gestes d’un terroriste qui ferait sauter un relais de téléphonie mobile. De l’autre, un invité au Forum, Max, découvre qu’il est le père de Tsutsui. Et finalement, le commandant Moritz croit bien faire en précipitant une avalanche préventive pour sauver l’honneur perdu de Davos.

Une vue de la scène est accessible ici.

Lire ici le début du récit.

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Chapitre 31

Ruth blêmit, elle se met dans le dos du commandant Moritz pour voir les mêmes écrans que lui. Ou est-ce pour éviter que les voisins ne puissent jeter un œil sur les fenêtres qu’il a ouvertes?

L’image que renvoie la caméra aidée de l’infrarouge est sans couleur. Elle est prise du haut du dernier pylône du téléski. Ruth la pointe du doigt, zoome autant qu’il est possible, jusqu’à la limite de définition de l’écran. C’est un cliché pris il y a quelques secondes.

Le commandant Moritz reconnaît la silhouette du Japonais, souple et agile comme un kangourou dévalant la pente neigeuse à grandes enjambées en direction de la lisière. Une image toute dans les gris avec un visage très pâle. On dirait une statue de sel en train de s’enfuir.

-Chef, il a l’air d’avoir fini sa mission, il quitte les lieux du crime.

Oui, ce serait le moment de lui envoyer une bonne avalanche dans les gencives. Un type qui court comme ça en pleine nuit doit avoir commis l’irréparable. Le commandant Moritz calcule que dans quelques minutes, le relais sautera. Ça ne peut être que ça, le forfait de Tsutsui. C’est le moment d’agir, d’anticiper les calculs ennemis.

Mieux vaut une cause naturelle à la destruction du relais. Evaluer les hypothèses, soupeser, mais surtout contrôler les flux. Il faut se décider avant d’être court-circuité par le ridicule d’un homme seul détruisant tout un dispositif de sécurité. Allons-y, un simple signal binaire à envoyer là-haut. Permettre aux forces de la nature d’assouvir leur colère.

Bräma, dans la langue d’ici, ce nom veut dire la guêpe. Eh bien, en mourant, la guêpe enfonce pour toujours son aiguille, comme le commandant Moritz enfonce le bouton de la souris.

Quelques secondes plus tard, l’onde sonore arrive assourdie jusqu’aux vitres du poste de contrôle. On devrait entendre le grondement de la masse neigeuse. Ruth s’approche de la fenêtre et dit:

– Oh comme c’est drôle, regardez, là-haut, une avalanche.

Ses collègues lèvent la tête dans la direction indiquée. Quelqu’un dit:

-La Bräma, c’est une région dangereuse même la nuit, les avalanches de poudreuses peuvent s’y déclencher quand il a neigé comme ça pendant trois jours.

Le chargé de presse toujours lyrique ajoute:

– Oui, contre une avalanche, on est peu de choses. Mais qu’elle est belle.

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le trentième-deuxième épisode.

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.