CULTURE

Camilla épouse Charles? C’est une image mentale

Depuis quelques semaines, la grande presse britannique publie d’étranges clichés d’actualité fantasmée. A distance égale de l’art contemporain et de la publicité tonique.

Un comble pour les traqueurs de vérités vraies: la presse anglaise dite «de qualité» est bourrée de fausses nouvelles cet hiver. Fausses, mais un peu vraies. Des événements qui ne se sont pas passés mais qui ne nous étonneraient pas trop, finalement. On pourrait appeler cela de l’infox.

L’affaire a commencé en octobre avec une photo de Jeffrey Archer réconforté dans sa cellule par Margaret Thatcher. Romancier à succès et ancien politicien conservateur, Archer a été condamné à quatre ans de prison ferme pour faux témoignage et entrave à la justice dans une rocambolesque affaire de relations sexuelles avec une prostituée.

A vous, il faut l’expliquer. Mais au lecteur «de qualité» anglais, ça vient tout seul. Il grogne, s’étonne… et comprend enfin qu’il a affaire à une pub en découvrant en bas à gauche de l’image le logo de Schweppes et un slogan obscur destiné aux seuls initiés : « Sch… you know who?» Le but de la campagne est de revitaliser l’image du fabricant de boissons gazeuses, de rallier les buveurs de champagne qui savent discerner le vrai du faux.

Deuxième acte, la marque annonçait en décembre ce que tout le Royaume redoutait: le mariage de Camilla Parker-Bowles avec le Prince Charles. L’image est prise entre les rideaux d’une demeure somptueuse, comme si le paparazzi était montré par la fenêtre. On aperçoit Camilla en train de revêtir sa robe de mariée, stressée, réconfortée par Karl Lagerfeld qui lui tend un verre d’eau.

En janvier, ce fut au tour du Premier ministre de faire pétiller le public. Un troisième volet de la campagne le montrait de dos avec sa femme sur le palier du 10, Downing Street. Le couple, debout, fait face à un groupe de journalistes. Tony se tortille bizarrement et il n’y a que vous et moi à savoir pourquoi: la main droite de Cherie s’ancre sauvagement dans les fesses de Tony. Chut, on vous avait bien dit qu’elle tenait le pantalon.

La dernière image de la série, qui vient tout juste de sortir de presse, ne fait rire que les fous de foot (mais l’Angleterre en est remplie): c’est Svan-Göran Eriksson, l’entraîneur suédois de l’équipe nationale, debout en cravate dans ses toilettes. Celui à qui toute l’Ile reproche de ne pas être anglais porte un slip fashion avec le Union Jack imprimé dessus. « Sch… tu sais bien que c’est pas vrai… ».

Mais alors comment? Les photos noir-blanc, très smart, sont en fait l’œuvre d’une photographe britannique, Alison Jackson, diplômée du très réputé Royal College of Art. Depuis deux ans, elle travaille sur une série qu’elle a appelé «Mental Images»: des images tirées de nos fantasmes (surtout des siens) et traitées comme des photos de presse.

Pour ses clichés, elle déniche des sosies parfaits. Et quand ils ne sont pas parfaits, elle s’arrange pour nous les faire voir de loin, ou de dos. Du Brit Pop Art, donc, puisque la photographe prétend être inspirée par Andy Warhol.

En 2000, dans une galerie londonienne, Alison Jackson exposait entre autres «Diana Family Portrait» (1998), une composition genre Sainte Famille de la Renaissance avec Diana, Dodi et leur enfant, un joli petit métisse d’une année. Clairement fausse, la photo rappelait pourtant la rumeur lancée par le puissant Mohammed Al Fayed selon laquelle la princesse était enceinte au moment de l’accident. Le ragot s’était fabriqué une photo d’identité. Le Times, mais aussi les tabloïds peut-être trop fâchés que ce ne soit pas de vraies photos, ont trouvé les clichés «outrageux» et «grossiers».

Après le scandale, l’agence londonienne ultrabranchée Mother Ltd a proposé à Alison Jackson de participer à cette nouvelle campagne Schweppes. «Cela correspond à notre public: des gens qui savent reconnaître la qualité d’une marque mais qui peuvent aussi détecter une falsification», a expliqué Andrew Coker, porte-parole de Coca Cola GB – qui distribue Schweppes au Royaume-Uni.

Le plus incroyable, c’est que personne n’ait déposé plainte. On aurait pu croire que, passées de la galerie d’art à la publicité dans la presse, les photos fantasmes d’Alison Jackson seraient considérées comme diffamantes. Essayez de publier une fausse photo d’un policier fribourgeois léchant le genou d’une prostituée dans L’Hebdo, et vous verrez que cela ne fera pas que des bulles dans un verre d’eau.

En fait, en Grande-Bretagne, la campagne n’est pas illégale. Car dans la mesure où elle n’est destinée qu’aux consommateurs anglais, il n’a pas été nécessaire de demander l’autorisation des personnes concernées. Et bizarrement, le droit anglais ne soulève pas la question des sosies.

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Deux des quatres photos de la campagne Schweppes par Alison Jackson sont à voir sur Photoserve.

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Christine Salvadé, journaliste, vit et travaille à Londres. Elle collabore régulièrement à Largeur.com.